Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 15.djvu/98

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Le lendemain du jour où les événements précédents se passaient dans la demeure de Jean Lebrenn, Charlotte Desmarais s’entretenait avec sa mère : celle-ci, pâle, abattue, les yeux rougis par les larmes, tremblait toujours pour la vie de son frère, qui, éventant sans doute le piège caché sous le conseil du commissaire, de quitter Paris par la barrière Saint-Victor, était resté dans son refuge ; la femme de l’avocat, tâchant d’oublier ses craintes en songeant à la félicité de sa fille, lui disait avec l’expression d’une tendresse mélancolique :

— Ainsi, tu es heureuse, bienheureuse de ton mariage, mon enfant ?

— Oh ! ma mère, — répond la jeune fille en couvrant de baisers la main de madame Desmarais, — rien ne manquerait à mon bonheur, si je ne te voyais pas si triste.

— De ma tristesse tu connais le motif, chère fille.

— Oui, et pourtant…

— Achève.

— Ta cruelle inquiétude, les dangers dont mon malheureux oncle est menacé ne causent peut-être pas seuls ta tristesse…

— Quelle autre cause aurait-elle donc ?

— Mon mariage… auquel tu n’as consenti qu’à regret, sans doute ?

— Je te sais gré, Charlotte, de me fournir l’occasion de m’expliquer franchement avec toi à ce sujet. Eh bien, oui, les idées dans lesquelles j’ai été élevée, mes préjugés, si tu le veux, me faisaient regarder ce mariage comme une fâcheuse mésalliance ; je m’y suis, pendant quatre ans, opposée de tout mon pouvoir, mais, je te l’avoue avec la même sincérité, mon enfant : hier soir, lorsque ton père a eu annoncé à M. Jean Lebrenn qu’il lui accordait ta main, il s’est montré si reconnaissant, il s’est exprimé en si bons termes, il m’a témoigné tant d’attentions, tant de déférences, il a parlé de sa malheureuse sœur d’une manière si touchante, il s’est si bien montré ce qu’il est certainement : un homme plein de cœur et de générosité ; enfin il t’aime tant et si noblement, mon enfant, que, je te le jure,