Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/139

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il paraît soucieux ; il a repris sa giberne, son sabre et son fusil de volontaire.

— Castillon, — demande madame Desmarais avec inquiétude, — pourquoi avez-vous pris vos armes ?

— Ça n’est pas pour mon plaisir, citoyenne ; car, tout à l’heure, en allant dans l’atelier décrocher mon fusil qui était au clou depuis mon retour de l’armée de Rhin et Moselle, j’avais le cœur serré ; je croyais n’avoir plus à faire le coup de feu contre des Français, des frères.

— Le coup de feu ! — s’écrie madame Desmarais. — Grand Dieu ! l’on va donc encore se battre ?

Castillon, sans répondre à la mère de Charlotte, dit tout bas à celle-ci : — Citoyenne, je crains que ça ne tourne mal.

— Que savez vous donc de nouveau ?

— Lorsque vous m’avez dit d’aller dans la rue voir si l’on ne poursuivait pas le citoyen Desmarais, je n’ai rencontré personne ; je me suis avancé jusqu’au coin de la rue d’Anjou, et là, j’ai trouvé une douzaine de patriotes du quartier ; ils s’étaient d’abord rendus à leurs sections, afin d’aller soutenir la commune, et ils rentraient chez eux.

— Pourquoi rentraient-ils ?

— Les scélérats de la Convention envoient à cette heure, partout, des affidés qui répandent le bruit que les comités ont découvert une grande conspiration royaliste dont Robespierre était le chef, à preuve que l’on a saisi chez lui un cachet fleurdelisé [1].

— Robespierre, chef d’une conspiration royaliste ? — répond Charlotte, haussant les épaules. — Comment peut-on ajouter foi à de si odieuses absurdités ?

— Dame… que voulez-vous, citoyenne… — répond tristement Castillon, — Vergniaud, Danton, Camille Desmoulins et tant d’autres patriotes n’ont-ils pas été guillotinés comme royalistes ou complices de l’étranger ?… Le peuple les a crus coupables, puisque la Convention les livrait… Ne peut-il pas croire qu’il en est ainsi aujourd’hui de Robespierre ?

— Ah ! voilà les affreuses conséquences des calomnies inventées par la jalousie, par la haine, — dit Charlotte avec une indignation douloureuse. — Hélas ! ainsi que Jean me l’a si souvent répété, les

  1. Cambon disait un jour à Vadier, exilé comme lui à Bruxelles : « Comment avez-vous eu la scélératesse d’imaginer ce cachet et toutes les autres pièces par lesquelles vous vouliez faire passer Robespierre pour un royaliste ? » Vadier répondit « que le danger de perdre la tête donnait de l’imagination. » (Mém. de Cambon, t. 1er, p. 179.)