Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/159

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suggérer la lâcheté, — pensait Jean Lebrenn, — mais je ne comprends pas encore quel est son but.

— Citoyen, — demande l’avocat au commissaire ; — as tu écrit ?

— Oui.

— Je poursuis, et tu vas frémir comme moi de tant de scélératesse. Donc, persuadé que je vais trouver céans ma fille expirante, j’accours, le cœur navré, brisé ; je demande d’une voix entrecoupée de pleurs paternels : « Où est ma malheureuse enfant… où est-elle ? » L’on me répond qu’elle est, avec sa mère, dans une chambre du second étage, où l’on va me conduire ; mais, de crainte que ma présence, n’étant pas annoncée à ma fille, ne l’impressionne trop vivement, on ajoute que l’on va la préparer à me recevoir… J’étais monté au second étage, et, éperdu de douleur, ne pouvant soupçonner l’odieuse trame dont j’étais l’objet, ignorant complètement les êtres de cette maison, où je venais pour la première fois, ne songeant enfin qu’à revoir mon enfant mourante, j’entre sans défiance… quoique cependant assez surpris de son obscurité, dans une espèce de réduit mansardé que l’on m’indique ; mais à l’instant où, devinant quelque perfidie, je fais un pas en arrière, je suis violemment repoussé dans cette espèce de cachette, dont la porte se referme sur moi ; on donne un double tour de clef à la serrure, et j’entends la voix de ma femme ou de ma fille, car je ne saurais, sans mentir à la vérité, affirmer que ce fût l’une ou l’autre d’entre elles ; j’entends donc dire : — « Donnez-moi cette clef, il ne sortira pas. » — Et maintenant, — ajoute l’avocat se tournant vers sa fille, — je vous somme, sur l’honneur, de déclarer si vous ou votre mère n’avez pas entre vos mains la clef du réduit où depuis hier, j’ai été séquestré.

— En effet, — répond Charlotte lançant à son père un regard de mépris écrasant, et prenant dans sa poche la clef qu’elle jette sur la table, — cette clef, la voici.

— Citoyen magistrat, tu vois, tu entends ! — s’écrie l’avocat triomphant. — Cette clef, pièce de conviction flagrante, sera jointe à ma déposition, et je l’achève en dévoilant la cause de la séquestration dont j’ai été victime. Cette cause, j’en jurerais, la voici : mon gendre, ci-présent, avec qui j’ai depuis longtemps rompu toute relation, parce que je voyais en lui l’un des séides forcenés de ce monstre de Robespierre ; mon gendre connaissait l’horreur que m’inspirait l’exécrable tyran, et savait aussi l’influence que me donne à la Convention, non certes mon insuffisante éloquence, mais mon inflexible patriotisme ; mon gendre savait enfin que la mise en accusation du dictateur, ce