Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

s’adressant au financier : — À revoir, cher oncle, je vous confie maman, et je reviens bientôt.

— Adieu, bonne et chère mère, — dit Jean Lebrenn à madame Desmarais en l’embrassant avec une vénération filiale et essayant de la rassurer encore. — Du courage, nous nous reverrons bientôt, je l’espère. Adieu, citoyen Hubert, les révolutions ont de singuliers retours, n’est-ce pas ? Vous, royaliste, vous êtes libre, et moi, républicain, je suis prisonnier.

— Quelles que soient vos opinions, j’ai toujours trouvé en vous un homme de cœur, — dit le financier d’une voix émue ; — et si une consolation peut adoucir pour vous le chagrin d’une séparation momentanée, je veux le croire, ce sera la certitude que ma sœur et ma nièce, votre femme, trouveront en moi, durant votre absence, l’ami le plus tendre et le plus dévoué.

Jean Lebrenn sort avec Charlotte et le commissaire, M. Hubert et madame Desmarais les accompagnent jusqu’à la voiture qui les attend, et leur adressent un dernier adieu.

_____

Quelques mots encore, fils de Joël, sur les derniers moments des immortels martyrs du 9 thermidor. Laissons la parole à un témoin oculaire des faits. Le récit le plus éloquent pâlirait auprès de la réalité navrante des lignes suivantes :

«… Robespierre aîné a été transporté de l’Hôtel de Ville au comité de salut public, le 10 thermidor, entre une et deux heures du matin ; il était porté sur une planche par quelques canonniers et des citoyens armés. Il a été déposé sur la table de la salle d’audience qui précède le lieu des séances du comité. Une boîte de sapin, qui contenait quelques échantillons de pain de munition, envoyés de l’armée du Nord, fut posée sous sa tête et lui servit, en quelque façon, d’oreiller ; il resta près d’une heure dans un état d’immobilité qui laissait croire qu’il allait cesser d’être. Enfin, au bout d’une heure, il commença à ouvrir les yeux ; le sang coulait avec abondance de la blessure qu’il avait à la mâchoire inférieure gauche : cette mâchoire était brisée, sa joue percée d’un coup de feu ; sa chemise était ensanglantée. ll était sans chapeau et sans cravate ; il avait un habit bleu-ciel, une culotte de nankin, des bas de coton blanc, rabattus jusque sur ses talons. Vers trois à quatre heures du matin, on s’aperçut qu’il tenait dans sa main un petit sac de peau blanche sur lequel était écrit : AU GRAND MONARQUE,