Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/199

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il s’avançait à marches forcées sur la capitale de l’Autriche. Lucien Bonaparte, dévoué aux intérêts de son frère, et comme lui redoutant le nouvel ascendant que la confiance du Directoire pouvait donner à Hoche, décida Barras à obtenir de ses collègues Rewbell et Laréveillère qu’Augereau fût chargé de la mission d’abord offerte à Hoche, qui avait noblement répondu : — « Après avoir vaincu au dedans et au dehors les ennemis de la république, je déposerai l’épée, afin de jouir des douceurs de la paix. » — Augereau fut donc chargé de l’arrestation des conspirateurs royalistes, et, le 5 fructidor an V (4 septembre 1797), il envahit la salle des conseils à la tête de ses grenadiers, arrêta les généraux Pichegru et Willot, les inspecteurs de la salle, au cri de vive la république poussé par ses soldats.

Ce coup d’État militaire, momentanément couronné de succès, devait être, pour l’avenir, mortel à l’inviolabilité de la représentation nationale, incarnation de la souveraineté populaire. Ah ! fils de Joël, souvenez-vous des grands jours de la révolution, souvenez-vous qu’à l’époque de nos plus terribles crises, la Convention fut toujours sacrée pour le peuple ; il eût considéré comme un crime l’envahissement du lieu des séances de cette Assemblée ; s’il exerça sur elle une pression le 31 mai, au nom de la patrie en péril, et jamais péril ne fut plus menaçant, cette pression fut toute morale ; mais après le 9 thermidor, comprenant trop tard, hélas ! que la chute de Robespierre livrait la république aux corrompus de la Convention, le peuple, affamé, exaspéré par la misère, dont les décrets du comité de salut public l’avait constamment préservé ; révolté de voir le sang des derniers patriotes couler à torrents sur l’échafaud de la réaction royaliste, envahit en germinal et en prairial cette Assemblée nationale, qui, dès lors indigne de son mandat, prouvait par ses actes, par des décrets, par ses sanglantes exécutions, qu’elle ne représentait plus la révolution et la république, mais la contre-révolution et la monarchie. Enfin, ces envahissements produits par la légitime indignation populaire étaient du moins purs de l’intervention de l’ARMÉE, force brutale et aveugle, lorsqu’elle devient l’instrument d’un despote. Le coup d’État du 5 fructidor, accompli aux cris de vive la république, habituait, préparait les esprits au coup d’État du 18 brumaire. Ah ! c’est aussi aux cris de vive la république que les grenadiers du général Bonaparte, chassant de leur siège les derniers représentants du peuple, intronisaient le gouvernement le plus personnel qui ait jamais pesé sur la France !