Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/211

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ce grand peuple ! demander un maître ! après avoir jugé, condamné le dernier des rois dans le calme auguste de sa justice souveraine. Quoi ! ce grand peuple, incapable de se gouverner, lui ! sorti victorieux en 1793-1794 de terribles épreuves, uniques dan les annales du monde ! Quoi ! réduit à invoquer la dictature d’un homme ! ce peuple qui, seul contre l’Europe déchaînée contre lui, déchiré par les factions intestines, mit douze cent mille hommes sous les armes, écrasa les armées étrangères, recula jusqu’au Rhin et aux Alpes les frontières de la France, lui donna pour avant-poste de jeunes républiques, abolit l’esclavage, fonda le crédit public, centralisa le gouvernement, rendit accessible au pauvre le prix des denrées ; organisa l’instruction publique, l’éducation nationale sur les plus larges bases ; décréta ces lois touchantes et sublimes qui entouraient d’une patriotique sollicitude les veuves, les orphelins, les vieillards, ces vénérables invalides de l’industrie et de l’agriculture.

Que l’on réponde ?… Ces guerres de Titans, ces profondes réformes sociales, cette puissante impulsion donnée à l’éducation civique, ces actes et tant d’autres qui, sans la conspiration des scélérats de thermidor contre Robespierre, régénéraient la France ; cette irrésistible propagande révolutionnaire, qui appelait et initiait à la liberté les nations asservies ; ces faits gigantesques, qui seront l’étonnement et l’admiration de la postérité, comment se sont-elles accomplies ? Est-ce sous la dictature d’un homme ? Non ! non ! ce fut ton œuvre immortelle, ô république ! ce fut l’œuvre d’un grand peuple, non GOUVERNÉ par un DESPOTE, mais énergiquement SERVI, comme il voulait et devait l’être, par ses COMMIS, ses mandataires de la Convention, incarnation visible de la souveraineté nationale ! Dieu juste ! toi, le peuple de 1793 et de 1794 ! toi qui fis trembler l’Europe et les rois, en leur jetant pour gage de défi et de bataille la tête et la couronne de Capet, tu serais tombé à un tel degré de lâche abjection, de mépris de toi-même et d’oubli de ton immortel passé payé de son sang, que tu ne verrais de salut que dans la dictature d’un soldat heureux ?… Hélas ! il faut le dire, il en fut ainsi ! Oui, elles trouvèrent créance, ces impostures, qui provoqueraient les sifflets, si elles n’avaient eu pour exécrables et suprêmes conséquences, en 1814 et en 1815, l’envahissement, la honte, la ruine de la France ! pillée, saccagée par les hordes étrangères, dépouillée des conquêtes de la révolution, réduite à ses frontières monarchiques, et pleurant la mort stérile de ses enfants qui de leurs os ont blanchis les champs de bataille de l’Europe !