Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que celle d’attenter au gouvernement représentatif dans le siècle des lumières et de la liberté. »

LEBRENN. — Il a écrit cela ? le général Bonaparte a écrit cela ?

MARTIN. — Et mieux encore ; écoutez : « Il n’y aurait qu’un monstre ou un fou qui voulût, de gaieté de cœur, faire perdre la gageure de la république contre la monarchie, après avoir, comme moi, soutenu le gouvernement républicain avec quelque gloire et tant de péril. [1] »

LEBRENN. — Et il est des gens assez naïfs ou assez aveugles pour ajouter foi à ces paroles ?

MARTIN. — Certes ! Ces dupes sont innombrables, entre autres Castillon et quelques vieux patriotes du faubourg Antoine ; aussi, je le crains, vous ne serez pas mieux venu que moi à convaincre Castillon et ses amis que Bonaparte n’est point dévoué âme et corps à la république et à la liberté. Telle est donc notre situation : nous ne pouvons compter que sur le droit contre la violence. Nous voulons, quant à présent, défendre la constitution actuelle contre les factieux, non que nous la regardions comme durable ; elle porte en elle un germe de mort, l’exclusion des prolétaires bannis du scrutin. Si l’on ajoute à cela les nombreux coups d’État dont elle a été le prétexte et qui ont avili la représentation nationale, l’on est obligé d’avouer le peu de vitalité de cette constitution de l’an III ; cependant, nous la défendons provisoirement, parce qu’elle peut seule nous garantir d’un nouveau coup d’État, d’où sortirait, soit le despotisme militaire du général Bonaparte, soit une oligarchie bourgeoise, tendant à rétablir la monarchie constitutionnelle de 1792. Si, dans la crise qui se prépare, nous triomphons des conjurés, nous attendrons l’époque prochaine marquée par la constitution elle-même pour sa révision ; nous rétablirons alors le suffrage direct sans condition de cens, ainsi que l’unité gouvernementale dans une assemblée unique, déléguant le pouvoir exécutif à des comités, comme au temps de la Convention. Tels sont, mon ami, nos projets.

LEBRENN. — La question ainsi posée entre les factieux et vous, ils comptent dans leurs rangs deux membres du Directoire, Sieyès et Roger Ducos.

MARTIN. — Nous aussi nous comptons parmi nous deux membres du Directoire, Moulins et Gohier.

LEBRENN. — Mais le cinquième directeur, ce Barras, quel parti a-t-il embrassé ?

  1. Histoire parlementaire de la Révolution, page 497, vol. XXXVIII.