Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/229

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MARTIN. — Supposons que, demain, Bonaparte et les royalistes du conseil des Anciens veuillent renverser la constitution et proscrire les derniers républicains qui siègent au conseil des Cinq-Cents, quelle serait l’attitude du faubourg Antoine ?

CASTILLON. — Aussi vrai que le jour nous éclaire, les uns seront contents, et les autres, ni contents ni mécontents, laisseront faire la général Bonaparte.

LEBRENN. — La masse, soit ; mais les anciens sans-culottes de la brasserie de Santerre, les vieux patriotes qui, comme toi, Castillon, ont pris part aux grandes journées de la révolution ?… ils laisseraient, sans mot dire, renverser la constitution et proscrire les derniers républicains ? 


CASTILLON. — Voyons, l’ami Jean, tu veux que le peuple aille s’insurger pour défendre une constitution qui lui a filouté son droit de suffrage direct ! tu veux que le peuple aille risquer sa peau pour défendre les républicains des Cinq-Cents qu’il ne connaît pas ; car, sans affront pour le capitaine Martin, aussi bon patriote que personne, il faut bien dire qu’il n’y a pas un député du conseil des Cinq-Cents qui ait un nom populaire ; c’est des braves hommes ; mais, dame ! comment connaîtrions-nous leurs noms ? Il n’y a plus de clubs, plus de réunions aux sections, vu qu’il n’y a plus de sections ; c’est à peine s’il reste quelques journaux. Et puis, enfin, ces députés-là ne s’appellent pas Saint-Just, Lebas, Danton, Robespierre. À la voix de ceux-là, le peuple s’est soulevé et se soulèverait encore, si les morts, comme l’on dit, revenaient, mais, toujours soit dit sans faire affront au capitaine Martin, ni lui, ni ses amis ne feraient à cette heure bouger un homme des faubourgs.

MARTIN. — Il est vrai, nous ne comptons malheureusement parmi nous aucun de ces grands citoyens si populaires en 1793 et en 1794 ; la guillotine y a mis bon ordre. J’avoue encore que cette constitution que les contre-révolutionnaires de tous les partis et les traîneurs de sabre veulent renverser aujourd’hui, a exclu du scrutin les prolétaires ; ils ne peuvent donc guère être jaloux de la défendre. Mais il faut pourtant se dire qu’elle sera bientôt sujette à revision, que le peuple pourra ainsi reconquérir ses droits ; enfin, si mauvaise qu’elle soit, quant à présent, elle est encore cent fois préférable à la dictature d’un tyran.

LEBRENN. — Certes, car le pouvoir royal abattu le 10 août serait un régime de liberté comparé au despotisme militaire du général Bonaparte !