Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/251

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date ; donc, pas de phrases entre nous : vous êtes le père de ma bien-aimée femme, à qui je dois le bonheur de ma vie, et quelles que soient vos paroles ou votre conduite à mon égard, il est des bornes que je n’outrepasserai jamais en ce qui vous concerne ; vous ne m’inspirez ni colère ni haine, mais une profonde pitié, parce que vous êtes très-malheureux.

DESMARAIS. — Cette insolence…

HUBERT. — Allons donc, beau-frère, pas de gros mots, vous savez bien que votre gendre ne les relèvera point.

LEBRENN. — Vous m’inspirez, je vous le répète, citoyen Desmarais, une profonde pitié, parce que vous êtes très-malheureux d’être séparé de votre femme et de votre fille.

DESMARAIS, outré. — À qui la faute, scélérat ? n’est-ce pas à toi qui es venu jeter le trouble, la discorde entre ma famille et moi, et tu as l’effronterie de me parler des regrets que me cause mon isolement ! Viens-tu donc à Paris pour te repaître de ces chagrins que toi seul as causés ?

LEBRENN. — Je viens vous dire ceci, citoyen Desmarais : vous êtes parvenu au déclin de la vie, votre solitude vous pèse, vous regrettez, vous regretterez chaque jour davantage les douceurs du foyer domestique ; notre maison vous est et vous sera toujours ouverte. Renoncez à la vie politique, source incessante de vos angoisses, de vos alarmes, parce que la foi vous manque ; revenez auprès de votre femme et de votre fille ; elles oublieront le passé, parce que vous n’êtes pas foncièrement méchant, non ! Mais lorsque la peur vous domine, vous êtes comme les gens qui se noient : ils perdent la tête, et tout moyen de salut leur est bon, dussent-ils sacrifier autrui. Ainsi donc, lorsque vous le voudrez, citoyen Desmarais, vous trouverez place à notre foyer ; croyez-moi, vous jouirez près de nous d’une existence aussi paisible, aussi heureuse que la vôtre a été jusqu’ici tourmentée. (À Hubert.) Adieu, citoyen, je reviendrai avant mon départ prendre vos commissions pour Vannes.

HUBERT. — Adieu, cher neveu, vous êtes toujours, quoique jacobin, l’un des hommes que j’estime le plus. (Lebrenn sort.) Eh bien, beau-frère, à quoi songez-vous ainsi muet et pensif ? Voudriez-vous suivre l’excellent avis de votre gendre et renoncer à la vie politique ? vous auriez fièrement raison, car il parle d’or ce garçon.

DESMARAIS. — Le misérable ! Ah ! si ma haine contre lui pouvait augmenter, elle serait portée à son comble par ces nouvelles insultes ! M’imposer une sorte d’amende honorable à moi, à moi ! ensuite