Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/316

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de son despotisme palpitait encore, mais le gouvernement royal devenait aussi odieux que le gouvernement impérial. Plusieurs conspirations militaires s’organisèrent en faveur de l’empereur Napoléon : une fraction de la bourgeoisie songeait à appeler au trône le duc d’Orléans, tandis que le parti républicain espérait, de son côté, profiter des événements. Mais les destinées de la France étaient, à bien dire, entre les mains de l’armée, si profondément attachée à Napoléon et par les privilèges dont il l’avait comblée et par des souvenirs de gloire. Le peuple, depuis longtemps déshabitué de la vie politique, tenu à l’écart par Napoléon, et blessé dans ses instincts révolutionnaires par les Bourbons, restait inerte, sauf quelques vieux patriotes des grands jours de la révolution ; l’armée seule, en se déclarant pour ou contre la restauration, pouvait donc décider de son sort. Tel était l’état des esprits en France depuis le 3 mai 1814, jour de l’entrée de Louis XVIII à Paris, jusqu’au commencement du mois de mars 1815, époque à laquelle s’ouvre le récit dialogué que j’ai, moi, Jean Lebrenn, ajouté à notre légende de famille, sous le titre des CENTS JOURS.

LES CENT JOURS.

Il est dix-heures du matin, M. Desmarais et son beau-frère, M. Hubert, attendent dans un salon des Tuileries l’audience qu’ils ont demandée au duc de Blacas, ministre de Louis XVIII, et son plus intimé favori. Ils ont devancé l’heure de cette audience afin d’être arrivés des premiers, car la foule des solliciteurs est grande chez M. de Blacas, dont la recommandation est toute-puissante auprès du roi. M. Desmarais et M. Hubert portent le costume des pairs de France. Le premier, d’abord sénateur sous le consulat, puis sous l’empire, et, de plus, créé comte par Napoléon, a été néanmoins l’un des plus exaltés parmi les membres du sénat qui, après s’être montrés si longtemps les ignobles et serviles instruments du despotisme de l’empereur l’ont (non moins ignoblement serviles sous la restauration) frappé de déchéance en 1814, par le décret qu’ils ont lu. Ainsi, devenu forcené royaliste, de même qu’il avait été forcené Bonapartiste et, en remontant le cours de sa carrière politique, — forcené thermidorien, — forcené terroriste, — forcené jacobin, — forcené constitutionnel, le COMTE DESMARAIS a dû à la forcennerie de son récent dévouement royaliste d’être compris dans la liste des