Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/32

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difficile de devenir roi de Corse que roi de France en ce temps-ci [1]. »

— C’est une mauvaise plaisanterie.

— Citoyen général, rappelle-toi Dumouriez.

— Le citoyen Buonaparte n’est que chef de bataillon d’artillerie.

— Tu n’avais pas même ce grade au mois de mai de cette année, et tu es aujourd’hui général en chef. Or, ensuite de son succès au siège de Toulon, peut-être a-t-on déjà nommé adjudant général le citoyen Buonaparte ! .. tandis que moi je l’aurais envoyé devant le tribunal révolutionnaire.

— Quoi !… pour ce propos royaliste ?

— Un soldat heureux dont l’audace égalerait l’ambition et la scélératesse serait capable des plus noires trahisons.

— Que l’on punisse la trahison… soit… mais pour un mot, inculper l’avenir…

— Cela s’appelle… prévoir, — répondit Saint Just d’un ton bref et inflexible, au moment où retentissait dans le lointain un échange de quelques coups de feu.

— Plus de doute, — s’écrie Hoche en arrêtant son cheval et prêtant l’oreille, — nos éclaireurs ont rencontré les éclaireurs ennemis… je ne m’étais pas trompé… Wurmser marche sur nous, croyant me surprendre dans ma position d’Ingelsheim.

Le brouillard, jusqu’alors tellement épais que l’on voyait à peine à dix pas devant soi, commence de s’éclaircir à mesure que souffle la bise du nord, d’abord très-faible, mais qui augmente peu à peu. Bientôt l’on entend s’approchant le bruit du galop d’un cheval, et un aide de camp de Hoche, envoyé par lui en reconnaissance avec un escadron, apparaît à travers la brume de moins en moins opaque, pique droit au commandant en chef… et arrêtant sa monture :

— Citoyen général, nos éclaireurs viennent de se rencontrer avec un parti de hulans… Nous les avons chargés et ramenés assez près de l’avant-garde ennemie pour pouvoir distinguer, malgré le brouillard, un corps de cavalerie considérable. Tenez, mon général, voyez au loin…

Le vent du nord, s’élevant avec une force croissante, refoulait en effet vers le sud les humides vapeurs. L’atmosphère s’éclaircissait de plus en plus, et bientôt Saint-Just, Hoche et son état-major, placés sur un plateau assez élevé, purent embrasser d’un coup d’œil l’ensemble des

  1. Voir l’Histoire de la guerre de la Péninsule, par le général Foy, page 175. — Il tient ce propos d’un témoin auriculaire.