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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/370

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c’est déjà beaucoup ; le succès doit nous rendre moins cruelle la ruine de nos espérances, si elle est accomplie.

HÉNORY. — Rien n’est désespéré, mon ami ; mais…

MADAME LEBRENN. — La fatale indécision du général La Fayette, établi à l’Hôtel de Ville, et maître de la situation depuis avant-hier, a, je ne te le cache pas, mon ami, tout compromis. Il peut tout perdre, comme il peut encore tout sauver.

Martin entre en ce moment ; ses traits, d’abord inquiets, se rassérènent en voyant Marik assis dans son lit et s’entretenant avec sa mère et sa femme.

MARTIN. — Enfin, mon cher Marik ; vous voici debout ou peu s’en faut. Ah ! l’on peut vous dire cela, maintenant : nous avons craint pendant deux jours pour votre vie !

MARIK, serrant la main de Martin. — Je sais toutes les marques d’intérêt que vous m’avez données ; je vous en remercie bien cordialement.

MADAME LEBRENN. — Nous vous prions, monsieur Martin, de ne pas dire à mon fils un seul mot de la situation politique des partis ; il pourrait s’animer, s’exalter. Or, ces excitations seraient pour lui très-mauvaises.

HÉNORY, bas à Martin, et les yeux humides. — Et pas un mot, de grâce, sur le sort de nos pauvres amis Castillon et Duchemin.

MARTIN, bas à Hénory. — Ne craignez rien. (Haut, jetant un regard d’intelligence à madame Lebrenn.) Il me sera d’autant plus facile d’obtempérer à votre désir, ma chère madame Lebrenn, que rien n’est encore décidé, Dieu merci, sur la forme du gouvernement qui va être donné à la France.

MADAME LEBRENN. — Ce que j’autorise, si vous le voulez, monsieur Martin, c’est le récit des épisodes de cette grande bataille dont vous avez été témoin ; ce récit ne peut causer à mon fils qu’un noble enthousiasme ; cette émotion-là n’est nullement dangereuse.

MARTIN. — Ah ! mon cher Marik, jamais le peuple de Paris ne s’est montré plus vaillant, plus héroïque ; jugez-en d’après quelques faits.

MARIK, tristement. — Et tant d’héroïsme, tant de sang versé pour assurer peut-être le triomphe des intrigants, des roués politiques !

MADAME LEBRENN. — Mais, encore une fois, rien n’est décidé, mon ami ; pourquoi t’inquiéter à l’avance ?

MARIK. — Pardon, ma mère. Je vous écoute, monsieur Martin.

MARTIN. — Votre chère mère vous a dit, sans doute, qu’après la