Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/395

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séparé de son régiment et chargeant à la tête d’un peloton de dragons dans la rue Saint-Denis, fut renversé de son cheval, et ne dut la vie qu’à M. Lebrenn, qui lui offrit un refuge, quoique le colonel eût nourri quelque velléité de séduire Velléda (fille de M. Lebrenn), laquelle, peu de temps après la révolution de 1848, épousa Georges Duchêne, artisan menuisier.

Rappelons enfin au lecteur que, lors des fatales journées de juin 1848, Marik Lebrenn, alors capitaine de la garde nationale, s’était avancé sans armes, ainsi que plusieurs citoyens de sa compagnie, vers une barricade occupée par les insurgés ; ils espéraient, par leurs paroles, mettre terme au funeste malentendu qui divisait les républicains en deux camps ; déjà la voix de M. Lebrenn était écoutée, déjà ses frères comprenaient que, si légitimes que fussent leurs griefs, une insurrection serait en ce moment le triomphe des ennemis de la république à peine affermie ; mais, soudain, une pluie de balles pleut dans la barricade derrière laquelle parlementait Marik Lebrenn : un bataillon de gardes mobiles attaquait cette position ; les insurgés se défendaient en héros ; la plupart sont tués, un petit nombre est fait prisonnier. Marik Lebrenn, confondu avec eux, et plus tard traduit devant un conseil de guerre, déclare loyalement que, déplorant l’insurrection, tout en s’expliquant ses motifs, il espérait de faire entendre aux insurgés le langage d’une réconciliation fraternelle, au moment de l’attaque de la barricade. M. Lebrenn ne fut pas cru, et condamné, le croira-t-on jamais ? et condamné aux galères, comme plusieurs autres victimes de ces néfastes journées. Il dut, à son insu, sa sortie du bagne, au bout de deux mois, à la pressante sollicitude du comte de Plouernel (étrange revirement des événements politiques), jaloux d’acquitter la dette contractée par lui envers Marik Lebrenn, à qui il avait dû la vie en février 1848.

Ce fut donc quelques jours après le retour de Marik Lebrenn du bagne de Rochefort, à Paris, vers le commencement du mois de septembre (1848), que sa famille avait commencé de lire, chaque soir, cette légende domestique remontant à la conquête de la Gaule par Jules César.

M. Lebrenn et sa femme Hénory, Sacrovir, sa sœur Velléda et son mari, Georges Duchêne, assistaient à la lecture ; elles durèrent longtemps, l’on n’y consacrait que deux heures presque chaque soir, et les réflexions, les commentaires annexés par les nombreux et divers incidents de l’histoire de cette famille de prolétaires à travers les âges, depuis l’an 57 avant Jésus-Christ, jusqu’en 1830, réduisaient