— Quoi ! — dit vivement madame Lebrenn à son mari, — serait-ce l’un des descendants du prince Frantz de Gerolstein, parent et ami de ton père ? et que le grand-duc régnant garda si longtemps prisonnier d’État pendant la révolution ?
— Je l’ignore ; mais je crois que seule cette maison princière d’Allemagne porte ce nom. Je vais d’ailleurs m’informer du motif de la visite de M. Rodolphe de Gerolstein, — répond M. Lebrenn, sortant du salon pour se rendre dans une pièce qui lui sert de cabinet, et où Gildas a fait entrer le grand-duc de Gerolstein, dont les lecteurs des Mystères de Paris ont peut-être conservé quelque souvenir ; il avait alors les cheveux presque blanchis par l’âge et par les chagrins ; mais la noblesse de sa physionomie frappa M. Lebrenn, qui lui dit avec courtoisie :
— Donnez-vous la peine, monsieur, de vous asseoir.
— C’est à monsieur Lebrenn que j’ai l’honneur de parler ?
— Oui, monsieur.
— Permettez-moi, monsieur, de vous serrer la main, — reprend le prince, — nous sommes parents. Mon aïeul, Frantz de Gerolstein…
— A été l’ami de mon père, — ajoute M. Lebrenn, serrant la main que lui tend Rodolphe ; — ils combattaient ensemble à la prise de la Bastille, quoique le prince, votre aïeul, monsieur, fût de maison souveraine.
— Il a payé cher son dévouement à la cause de la liberté des peuples.
— Oui, enfermé dans une forteresse par le grand-duc régnant, il a…
— Pardonnez-moi, monsieur, de vous interrompre, — dit Rodolphe avec une visible anxiété, — mes moments… ou… plutôt les vôtres sont comptés.
— Les miens ! que voulez-vous dire ?
— Avant une heure, peut-être, vous serez arrêté ; il faut fuir.
— Arrêté, moi ! et pourquoi ?
— Un coup d’État se prépare ; vous êtes signalé dans votre quartier comme un homme dangereux ; vous avez été condamné lors des journées de juin ; vous serez arrêté cette nuit, vous dis-je ; je le sais, et il faut fuir.
— Ce que vous m’apprenez, monsieur, ne me surprend que médiocrement ; je prévoyais le coup d’État ; mais vous comprenez que s’il a lieu, je dois, au lieu de fuir…