Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


En ce moment, obéissant à un signe du capitaine, le trompette donne le signal de faire feu en faisant entendre une sonnerie convenue, puisque la voix humaine est presque toujours impuissante à dominer le fracas de la bataille et des détonations de l’artillerie.

— Allons, mon cadet, — disait Duchemin au servant chargé d’enflammer l’étoupille, — la soupe est trempée… il n’y a plus qu’à servir… allume… allume… ça ira !

Le canonnier approche sa lance à feu de la lumière, le coup part quelques secondes avant la charge générale de la batterie, et Duchemin, se servant de nouveau de sa lorgnette, afin de juger de la portée de son coup, s’écrie bientôt avec une joie triomphante, et caressant de sa main Carmagnole fumante et frémissant encore sur son affût :

— Bonne pièce ! amour de pièce… ça y est !… Le nez camard est démonté d’une roue… deux servants de droite sont déquillés !… Vive la république !

Le boulet de Carmagnole avait en effet brisé une des roues de l’obusier et renversé deux canonniers autrichiens un instant avant que les autres pièces de cette batterie ennemie n’eussent ouvert leur feu ; mais presque aussitôt elle se couronna de plusieurs petits nuages de fumée blanche et épaisse traversés d’éclairs enflammés… une détonation prolongée se fit entendre, et Duchemin s’écria, se tournant vers la muraille de pierres sèches derrière laquelle s’abritaient les fantassins volontaires : — Citoyens ! attention aux obus ! v’là qu’il en pleut… gare dessous ! ça mouille !…


À peine Duchemin a-t-il donné cet avertissement aux volontaires, que l’ouragan de fer vomi par les canons ennemis arrive rapide comme la foudre, les boulets rugissent, les obus ricochent et éclatent… Le commandant de l’artillerie républicaine est coupé en deux par un boulet ; ses restes informes se balancent encore un moment sur son cheval, qui s’abat sous le choc du contre-coup. Un obus éclate entre deux des pièces, l’un des servants est tué, deux autres gravement blessés tombent, puis se traînent à l’ambulance placée à l’abri de la ferme.

— Canonniers ! charge-à volonté… Pointez aux pièces ! — crie le plus ancien des lieutenants d’artillerie, qui prend dès lors le commandement. Le trompette traduit cet ordre par une sonnerie précipitée. Les canonniers rivalisent d’ardeur à la charge de leurs pièces, tandis que les cris : Au feu… au feu… se font entendre derrière les bâtiments de la ferme. Un nuage de noire et épaisse fumée l’enveloppe bientôt : un obus faisant explosion dans un grenier rempli de fourrage a causé l’incendie.