Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/42

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de l’ambulance, il vit de loin amener deux hussards ; il reconnaissait leur uniforme, mais ne pouvait distinguer leurs traits… Était-ce Olivier ?… était-ce Victoria ?… Il fut allégé d’une cruelle inquiétude lorsqu’il fut certain que ni sa sœur ni Olivier n’étaient jusqu’alors blessés. En vain il les cherche tous deux des yeux. L’escadron, toujours en bataille, disparaissait presque entièrement au milieu des tourbillons de noires vapeurs qui s’exhalaient de la métairie enflammée, et auxquels se joignait la fumée des canons de la batterie française. Le feu de celle-ci, malgré la nouvelle perte de quelques hommes, ne ralentissait pas. Telle fut la rapidité, la justesse de son tir, que bientôt la plupart des pièces autrichiennes furent démontées, leurs canonniers hors de combat. Alors le général ennemi, craignant de voir sa droite de nouveau décimée par l’artillerie républicaine, envoya l’un de ses aides de camp donner l’ordre au régiment des cuirassiers de Gerolstein d’enlever cette foudroyante batterie. Jusqu’alors couvert et masqué par un pli de terrain, ce régiment de grosse cavalerie de réserve n’avait pas pris part à l’action ; il formait une partie du contingent que la principauté de Gerolstein devait mettre au service de la Confédération germanique, et était commandé par le grand-duc régnant, l’un des plus ardents coalisés. Ce prince, âgé de soixante ans passés (père de Frantz de Gerolstein, qu’il détenait dans une prison d’État), conservait la verdeur et l’élan de la jeunesse ; à sa bravoure naturelle se joignait l’excitation de la haine implacable dont il poursuivait la révolution, l’accusant de ce qu’il appelait les crimes de son fils Frantz. Le comte de Plouernel, marié depuis peu à la fille du prince de Hollzern, commandait en second les cuirassiers du grand-duc. Celui-ci, aussi orgueilleux de son régiment que feu le roi Frédéric l’était de ses grenadiers, recrutait ses cavaliers avec un soin extrême ; nul d’entre eux n’avait moins de cinq pieds huit à dix pouces. En temps de paix, ils manœuvraient chaque jour sous les yeux du prince dans l’une des cours du palais de Gerolstein ; leurs chevaux, de pure race mecklembourgeoise, étaient de premier choix et tous de robe noire. Les cavaliers portaient la cuirasse et le casque d’acier, l’habit aux couleurs du grand-duc (bleu clair à collet et retroussis orange), bottes fortes et culotte de daim blanc. En somme, ce régiment était l’un des plus solides, des plus beaux de l’armée coalisée. Les hommes, tous dans la force de l’âge, aguerris, exercés, bien vêtus, bien nourris, bien soldés, choyés enfin comme une troupe d’élite, disciplinés à coups de canne par leurs aristocratiques officiers, selon la coutume