Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/55

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Il vient de l’engager dans les marécages à portée des batteries de l’autre rive de la Lauter !

À peine Hoche venait-il de prononcer ces paroles, que l’escarpement de la rive opposée à celle où manœuvrait la cavalerie républicaine se couvre soudain d’un nuage de fumée blanche sillonnée d’éclairs, de flamme, rendus plus éclatants par l’envahissement de l’ombre crépusculaire. Bientôt l’on entend le bruit prolongé de fréquentes détonations d’artillerie, répété par les échos de la vallée.

— La batterie autrichienne foudroie nos escadrons ; les chevaux, s’enfonçant jusqu’aux genoux dans le terrain vaseux, ne pourront que difficilement échapper à ce feu meurtrier ! — s’écrie Hoche avec désespoir. — Ce misérable Donadieu aura causé ce désastre irréparable… car voici la nuit… Puis, s’adressant à un de ses aides de camp : — Citoyen, cours à toute bride rejoindre nos escadrons… et donne l’ordre au colonel Dupont de prendre le commandement de ces régiments… de les rallier en hâte et de les ramener sur notre front… Tu arrêteras toi-même le général Donadieu, tu le conduiras sous bonne escorte au quartier général… Ce traître sera traduit devant un conseil de guerre.

— Le tribunal révolutionnaire réclame ce coupable, — dit Saint-Just ; — Donadieu sera dirigé sur Paris par mes ordres.

Au moment où l’aide de camp partait ventre à terre, afin d’aller porter les ordres du général au colonel Dupont, un officier d’ordonnance, arrivant au galop par une autre direction, arrête son cheval et dit à Hoche :

— Citoyen général, je suis envoyé vers toi par le chef de brigade Gouvion Saint-Cyr. Il a observé les mouvements du corps d’armée prussien… Le duc de Brunswick fait filer ses troupes sur la rive gauche de la Lauter, afin d’assurer sans doute la retraite de l’armée autrichienne sur Wissembourg.

— Il est trop tard pour engager une nouvelle action ! — répond Hoche avec amertume. — La nuit est venue, l’armée est harassée par un combat de dix heures… Ah ! le mouvement de Brunswick était prévu… Si Donadieu eût exécuté mes ordres… il culbutait l’arrière-garde ennemie dans la Lauter ou la faisait prisonnière, et s’emparait d’un immense matériel… la journée était complète ! — s’écrie Hoche ; et, s’adressant à Saint-Just : — N’est-ce pas désespérant ?

— Non, citoyen général ; les braves patriotes tels que toi ne connaissent pas le désespoir, — répond Saint-Just ; — demain le jour viendra, tu poursuivras ton succès, tu achèveras ta victoire… Je