Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/83

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des heures dans ces délicieux épanchements qui suivent les longues séparations. Plus d’une fois, de douces larmes ont baigné leurs yeux, en parlant de la prochaine naissance de leur enfant, cet enfant à qui Charlotte, durant l’absence de son mari, adressait des enseignements empreints de patriotisme et de foi républicaine ; ces pages, Jean Lebrenn, après les avoir lues, les tient encore entre ses mains, à demi étendu sur un canapé, selon l’impérieuse ordonnance de Charlotte, et il lui dit :

— Lorsque je t’ai quittée, tu étais pour moi la plus chère, la meilleure des épouses, je te retrouve la meilleure, la plus éclairée des mères… Non, les paroles me manquent pour t’exprimer combien je suis ému du sentiment qui t’a dicté cet écrit adressé à notre enfant.

— Épouse et mère, ne devais-je pas être surtout sensible à ce que la république décrétait en faveur des femmes et des enfants ? Puis, n’ai-je pas lu dans la légende de ta famille, ce trésor domestique que nous pouvons du moins maintenant conserver chez nous sans danger, que les Gauloises des temps héroïques étaient les mâles éducatrices de leurs enfants ? Aussi, dès à présent je songe à élever le nôtre dans le culte de la république, à prémunir un jour sa jeune raison contre les calomnies dont nos ennemis éternels poursuivront peut-être la révolution. Ah ! crois-moi, j’ai été frappée, ainsi que toi, des prophéties de notre vaillante sœur. Non, la république ne périra pas, mais elle aura peut-être à soutenir de nouvelles et terribles luttes ; peut-être même verrons-nous son astre passagèrement éclipsé, ainsi, que l’a prédit Victoria.

— Chère et bien-aimée femme, à toi je confie toute ma pensée ; je saisi la fermeté de ton caractère…

— Achève, mon ami.

— Eh bien, je l’avoue, je suis effrayé, non pour l’avenir, mais pour le présent, pour la génération actuelle ; les esprits les plus droits semblent ici frappés d’un vertige furieux, et cependant partout les armées républicaines sont victorieuses, partout les peuples opprimés nous tendent la main ; la terreur, nécessité fatale, provoquée par les trahisons, par les forfaits incessants de nos ennemis intérieurs, les a réduits à l’impuissance ; la Convention, après avoir relevé le crédit public, assuré la subsistance du peuple, rend presque chaque jour des décrets d’un sentiment aussi généreux, aussi élevé, d’une pratique aussi féconde que ceux dont tu fais mention dans ces pages adressées à notre enfant ; les biens nationaux offrent encore à la nation d’énormes ressources financières ; le peuple, calme, rassis, a jeté, comme