Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/85

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en moi le remords d’une grande iniquité : le citoyen Hubert a été, sera toujours, l’un des ennemis acharnés de la république…

— Je l’avoue avec regret, — dit Charlotte d’une voix douce et ferme ; — mais mon oncle, prisonnier, n’est-il pas dans l’impuissance de nuire ? Que peut-on vouloir de plus ?

— Mon cher Lebrenn, je suis obligé de vous dénoncer madame comme une indulgente forcenée, ce qui ne m’empêche pas de l’affectionner comme l’une des plus vaillantes femmes que je sache ; aussi, chaque jour je m’applaudis d’avoir contribué quelque peu à votre mariage, en vous proposant pour gendre à mon collègue Desmarais ; et, à propos de lui, je vous dirai… — Mais s’interrompant sans doute en raison de la présence de Charlotte, le conventionnel ajoute : — Nous reparlerons de ceci.

— Je te laisse, Jean, je vais surveiller les préparatifs du souper, — dit la jeune femme, remarquant la réticence de Billaud-Varenne ; puis, s’adressant à celui-ci : — Voulez-vous nous faire le plaisir de souper avec nous, et fêter ainsi en famille le retour de mon mari ?

— Cette proposition est bien séduisante ; mais, à mon vif regret, je ne puis l’accepter : nous avons ce soir, à neuf heures, réunion du comité de salut public ; il s’agit d’affaires si graves qu’il m’est absolument impossible de ne pas me rendre à cette séance.

— Je n’insiste pas ; je sais que si vous pouviez disposer de votre soirée, vous accepteriez notre invitation avec autant de cordialité que nous vous la faisons. À revoir donc, — dit la jeune femme au conventionnel, et elle s’éloigne en se demandant quelle peut être la cause de la réticence de Billaud-Varenne au sujet de l’avocat Desmarais.

— Mon cher Billaud, — reprend Jean Lebrenn après le départ de sa femme, — tout à l’heure vous avez prononcé le nom de mon beau-père ; puis, sans doute retenu par la présence de Charlotte, vous vous êtes interrompu ?

— Il est vrai : je ne pouvais dire devant elle que son père, mon honorable collègue, est un traître, un hypocrite et le plus lâche des hommes, ce que vous devez savoir de reste. N’a-t-il pas eu l’infamie de prétendre qu’il avait rompu tout commerce avec vous depuis votre mariage avec sa fille, parce que vous lui aviez mis, pour ainsi dire, le pistolet sur la gorge afin d’obtenir une dot, et que, de plus, il vous soupçonnait fort d’être…

—… Un agent secret de Pitt et Cobourg ? Ce sont là des calomnies trop ridicules pour être dangereuses, mon cher Billaud.

— Ne vous y trompez pas, si votre patriotisme, votre caractère,