Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/87

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Barère, Tallien, Collot-d’Herbois, Fréron, ces monstres de dépravation ou de férocité, vous oseriez les défendre ?

— Nous avons osé cela hier, et ce matin encore, car Robespierre demandait leur tête.

— Vous, Billaud, l’homme intègre, l’homme austère, vous dont la vie irréprochable défie même le soupçon, défendre ces scélérats, c’est impossible ! leur perversité, leur soif de l’or et du sang vous indigne, vous révolte !

— Oui, profondément.

— Et malgré l’horreur qu’ils vous inspirent, vous les soutenez ?

— J’ai la force, j’ai la vertu… oui, la vertu civique, de surmonter cette horreur et de ne voir en eux que les patriotes inexorables dont l’énergie a dompté, écrasé la contre-révolution à Nantes, à Bordeaux, à Lyon.

— Mais Saint-Just, mais Lebas, et de cela j’ai été dernièrement témoin en Alsace, ont dompté la contre-révolution sans verser une goutte de sang ; ils sont restés purs, intègres, honorables comme vous, Billaud-Varenne, tandis que ce Carrier, ce Fouché…

— Ce Carrier, ce Fouché, ce Tallien et consorts sont d’affreux coquins ; ils ont commis des exactions, des rapines odieuses, des cruautés abominables, mais ils ont, je le répète, écrasé la contre-révolution, mais ils tenaient leurs pouvoirs de la Convention ; or, les laisser mettre en accusation, ce serait rendre courage aux souverains coalisés, ranimer l’espoir des aristocrates, attiser le feu de la guerre civile à peine éteint, et avilir la représentation nationale, dont ces proconsuls étaient, après tout, les délégués ; donc les frapper serait inaugurer la contre-révolution, assassiner la république, assurer le retour plus ou moins prochain de la royauté : c’est ce que Robespierre, royaliste déguisé, a parfaitement compris ; aussi a-t-il présenté hier, 29 prairial, son exécrable loi qui, heureusement, a démasqué ce traître.

Jean Lebrenn, entendant Billaud-Varenne accuser Robespierre de royalisme, fut peut-être plus stupéfait encore qu’il ne l’avait été en entendant accuser Danton d’aspirer au trône. Aussi, après un moment de silence, il reprit :

— Robespierre, un royaliste déguisé ?

— Oui, et des plus dangereux !

— Robespierre !

— Jeune homme, retenez bien ceci : Maximilien est la contre-révolution incarnée.