Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 16.djvu/89

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— Mais ce ne sont là que peccadilles de la part de Robespierre auprès de ce qui s’est passé hier à la Convention ; jugez-en : Couthon se fait soudain porter à la tribune, le cul-de-jatte qu’il est, et il lit, au nom du comité public, un projet de décret, en apparence destiné à réorganiser le tribunal révolutionnaire ; mais le dernier article de ce projet, très-entortillé, très-obscur quant à la forme, mais quant au fond aussi clair que le couperet de Sanson, signifiait innocemment ceci : « Jusqu’à présent, un vote de la Convention était indispensable pour décréter d’accusation un représentant du peuple, cette disposition est désormais abrogée ; d’où il suit que les représentants du peuple retombent dans le droit commun. » Or, mon cher Lebrenn, vous comprenez la portée de ce décret ? La signature de trois membres du comité de salut public suffisant à valider dès lors ces mises en accusation, et Robespierre, Saint-Just et Couthon formant une trinité indivisible, ce bénin triumvirat comptait, grâce au vote de la loi présentée, attendre sournoisement le moment où ils seraient seuls en séance au comité de salut public, et, ce moment venu, immédiatement décréter d’accusation tous les terroristes, en commençant par Fouché, Carrier et autres, et finissant probablement par votre très-humble serviteur. Ainsi, la Convention était prise au trébuchet, l’arrêt des triumvirs ayant force de loi, et Robespierre le pouvant faire exécuter, grâce à l’appui de la commune et au concours de Henriot, commandant la force armée ; nous étions donc, nous autres terroristes, arrêtés une belle nuit et envoyés le lendemain au vasistas, car la nouvelle procédure du tribunal révolutionnaire est très-expéditive. Voilà, jeune homme, le malin tour que voulait nous jouer Maximilien, moyennant la loi du 22 prairial.

— Et de cette loi qu’est-il advenu ?

— Les premiers articles réorganisant le tribunal révolutionnaire, afin de rendre (à notre intention) sa marche aussi prompte que terrible, n’ont soulevé aucune objection, car l’on ne soupçonnait pas encore le véritable but du décret ; mais in caudâ venenum ; et lors de la lecture du dernier article, si profondément obscur, mais qui était à l’ensemble de la loi ce que le fer de la hache est au manche, votre honorable beau-père, pâle d’épouvante, s’est dressé sur son banc et s’est écrié : « — Si cette loi est votée, je déclare que je me brûle la cervelle ! » — Le drôle, dont la conscience est toujours sur le qui-vive, a le nez très-fin ; il flairait là-dessous la guillotine. L’exclamation de Desmarais produit un effet électrique, car beaucoup d’entre