Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/146

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– À Tétrik, gouverneur de Gascogne, arrivé d’hier à Mayence ; il demeure chez Victoria, — me répondit le cocher en calmant de la voix ses chevaux.

Pendant que le char entrait dans la maison de la mère des camps, j’allai vers le capitaine pour le remercier de son secours inattendu.

Marion avait, je l’ai dit, mon enfant, quitté, pour la guerre, son enclume de forgeron ; il était connu et aimé dans l’armée autant par son courage héroïque et sa force extraordinaire que par son rare bon sens, sa ferme raison, l’austérité de ses mœurs et son extrême bonhomie. Il s’était redressé sur ses jambes, et, son casque à la main, il essuyait son front baigné de sueur. Il portait une cuirasse de mailles d’acier par-dessus sa saie gauloise, et une longue épée à son côté ; ses bottes poudreuses annonçaient qu’il venait de faire une longue course à cheval. Sa grosse figure hâlée, à demi couverte d’une barbe épaisse et déjà grisonnante, était aussi ouverte qu’avenante et joviale.

– Capitaine Marion, — lui dis-je, — je te remercie de m’avoir empêché d’être écrasé sous les roues de ce char.

– Je ne savais pas que c’était toi qui risquais d’être foulé aux pieds des chevaux, ni plus ni moins qu’un chien ahuri, sotte mort pour un brave soldat comme toi, Scanvoch ; mais quand j’ai entendu ce cocher du diable s’écrier : Sauvez-vous ! j’ai deviné qu’il allait écraser quelqu’un ; alors j’ai tâché d’arrêter ce char, et, heureusement, ma mère m’a doué de bons poignets et de solides jarrets. Mais où est donc mon cher ami Eustache ? — ajouta le capitaine en regardant autour de lui.

– De qui parles-tu ?

– D’un brave garçon, mon ancien compagnon d’enclume ; comme moi, il a quitté le marteau pour la lance : les hasards de la guerre m’ont mieux servi que lui, car, malgré sa bravoure, mon ami Eustache est resté simple cavalier, et je suis devenue capitaine… Mais le