toi, si vaillant et si robuste… j’étais ce que l’ombre est au corps.
– Par le diable ! quelle ombre ! mon ami Eustache, — dit en riant le capitaine, et, s’adressant à moi, il ajouta, montrant son compagnon Eustache :
– Qu’on me donne deux ou trois mille ombres comme celle-là, et à la première bataille je ramène un troupeau de prisonniers franks.
– Tu es un capitaine renommé ! Moi, comme tant d’autres pauvres hères, nous ne sommes bons qu’à obéir, à nous battre et à nous faire tuer, — répondit l’ancien forgeron en plissant ses lèvres minces.
– Capitaine, — dis-je à Marion, — n’avez-vous pas à parler à Victorin ou à sa mère ?
– Oui, j’ai à rendre compte à Victorin d’un voyage dont moi et mon vieux camarade nous arrivons.
– Je t’ai suivi comme soldat, — dit Eustache ; — le nom d’un obscur cavalier ne mérite pas l’honneur d’être prononcé devant Victoria la Grande.
Le capitaine haussa les épaules avec impatience, et de son poing énorme il menaça familièrement son ami.
– Capitaine, — dis-je à Marion, — hâtons-nous d’entrer chez Victoria ; le soleil est déjà haut, et je devais me rendre chez elle à l’aube.
– Ami Eustache, — dit Marion en se dirigeant vers la maison, — veux-tu rester ici, ou aller m’attendre chez nous ?
– Je t’attendrai ici à la porte… c’est la place d’un subalterne…
– Croiriez-vous, Scanvoch, — reprit Marion en riant, — croiriez-vous que depuis tantôt vingt ans que ce mauvais garçon et moi nous vivons et guerroyons ensemble comme deux frères, il ne veut pas oublier que je suis capitaine et me traiter en simple batteur d’enclume, comme nous nous traitions jadis ?…
– Je ne suis pas seul à reconnaître la différence qu’il y a entre nous, Marion, — répondit Eustache ; — tu es l’un des capitaines les