Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/197

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faite à ma sœur de lait de veiller sur son fils ; au lieu de m’efforcer de rejoindre Victorin, je ne cherchai qu’à me rapprocher de Néroweg… Il me fallait la vie de ce Frank… lui seul parmi tant d’ennemis excitait personnellement en moi cette soif de sang… Je me trouvais alors entouré de quelques cavaliers de la légion à la tête de laquelle Victorin venait de charger si impétueusement l’armée franque… Nous devions, sur ce point, refouler l’ennemi vers le Rhin, car nous marchions toujours en avant… Deux de nos soldats, qui me précédaient, tombèrent eux et leurs chevaux sous la lourde francisque de l’Aigle terrible, et je l’aperçus à travers cette brèche humaine…

Néroweg, revêtu d’une armure gauloise, dépouille de quelqu’un des nôtres, tué dans l’une des batailles précédentes, portait un casque de bronze doré, dont la visière cachait à demi son visage tatoué de bleu et d’écarlate ; sa longue barbe, d’un rouge de cuivre, tombait jusque sur le corselet de fer qu’il avait endossé par-dessus sa casaque de peau de bête ; d’épaisses toisons de mouton, assujetties par des bandelettes croisées, couvraient ses cuisses et ses jambes ; il montait un sauvage étalon des forêts de la Germanie, dont la robe, d’un fauve pâle, était çà et là pommelée de noir ; les flots de son épaisse crinière noire tombaient plus bas que son large poitrail ; sa longue queue flottante fouettait ses jarrets nerveux lorsqu’il se cabrait, impatient de son mors à bossettes et à rênes d’argent terni, provenant aussi de quelque dépouille gauloise ; un bouclier de bois, revêtu de lames de fer, grossièrement peint de bandes jaunes et rouges, couleurs de sa bannière, couvrait le bras gauche de Néroweg ; de sa main droite il brandissait sa tranchante et lourde francisque, dégouttante de sang ; à son côté pendait une espèce de grand couteau de boucher à manche de bois, et une magnifique épée romaine à poignée d’or ciselée, fruit de quelque autre rapine… Néroweg poussa un hurlement de rage en me reconnaissant et s’écria :

– L’homme au cheval gris !…