Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je vous aime trop passionnément, je vous honore trop pour jamais vous offrir les restes d’une existence avilie par des hommes si peu dignes de vous être comparés… »

Cet hypocrite langage, loin de refroidir l’ardeur de Victorin, l’excita davantage ; son caprice sensuel pour cette femme, irrité par ses refus, se changea bientôt en une passion dévorante, insensée. Malgré ses protestations de tendresse, malgré ses prières, malgré ses larmes, car il pleurait aux pieds de cette misérable, la bohémienne resta inexorable dans sa résolution. Le caractère de Victorin, jusqu’alors joyeux, avenant et ouvert, s’aigrit ; il devint sombre, taciturne. Sa mère et moi, nous ignorions alors les causes de ce changement ; à nos pressantes questions, le jeune général répondait que, frappé des symptômes de désaffection manifestés par l’armée à son égard, il ne voulait plus s’exposer à une pareille défaveur et que désormais sa vie sera austère et retirée. Sauf pendant quelques heures consacrées chaque jour à sa mère, Victorin ne sortait plus de chez lui, fuyant la société de ses anciens compagnons de plaisir. Les soldats, frappés de ce brusque revirement dans sa conduite, virent dans cette réforme salutaire le résultat de leurs observations, présentées en leur nom au jeune général par Douarnek avec une amicale franchise ; ils s’affectionnèrent à lui plus que jamais. J’ai su plus tard que ce malheureux, dans sa solitude volontaire, buvait jusqu’à l’ivresse pour oublier sa fatale passion, allant cependant chaque soir chez la bohémienne, et la trouvant toujours impitoyable.

Un mois environ se passa de la sorte : Tétrik était resté à Mayence afin de tâcher de vaincre la répugnance de Victoria à faire acclamer son petit-fils comme héritier du pouvoir de son père ; mais Victoria répondait au gouverneur d’Aquitaine :

« – Ritha-Gaür, qui s’est fait une saie de la barbe des rois qu’il a rasés, a renversé, il y a dix siècles, la royauté en Gaule, les peuples étant las d’être transmis, eux et leur descendance, par droit d’héritage, à des rois rarement bons, presque toujours mauvais. Les