Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/242

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sistaient à cette épreuve, et ma sœur de lait partageait mes doutes. Elle fit de nouveau un violent effort sur elle-même, et dit :

— Tétrik, écoutez-moi.

Le gouverneur de Gascogne ne parut pas entendre la voix de sa parente.

— Tétrik, — reprit Victoria en se baissant pour toucher son parent à l’épaule, — je vous parle, répondez-moi.

— Qui me parle ? — s’écria le gouverneur d’un air égaré. — Que me veut-on ? Où suis-je ?…

Puis, levant tes yeux sur ma sœur de lait, il s’écria :

— Vous ici… ici, Victoria ?… Oui, tout à l’heure je vous accompagnais… je ne me le rappelais plus… Excusez-moi, j’ai la tête perdue… Hélas ! je suis père… j’ai un fils presque de l’âge de cet infortuné ; mieux que personne je compatis à votre désespoir, Victoria.

— Le temps presse et le moment est grave, — reprit ma sœur de lait d’une voix solennelle, en attachant sur Tétrik un regard pénétrant, afin de lire au plus profond de la pensée de cet homme. — La douleur privée doit se taire devant l’intérêt public… Il me reste toute ma vie pour pleurer mon fils et mon petit-fils… Nous n’avons que quelques heures pour songer au remplacement du chef de la Gaule et du général de son armée…

— Quoi ! — s’écria Tétrik, — dans un tel moment… vous voulez…

— Je veux qu’avant la fin de la nuit, moi, le capitaine Marion et vous, Tétrik, vous, mon parent, vous, l’un de mes plus fidèles amis, vous, si dévoué à la Gaule, vous qui regrettez si amèrement, si sincèrement Victorin, nous cherchions tous trois, dans notre sagesse, quel homme nous devons proposer demain matin à l’armée comme successeur de mon fils.

— Victoria, vous êtes une femme héroïque ! — s’écria Tétrik en joignant les mains avec admiration. — Vous égalez par votre courage,