Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/101

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qu’il y a six ans, lorsque les Arabes ont envahi la Bourgogne, et sont venus ravager la vallée de Charolles, où ma famille vivait libre, paisible, heureuse, depuis plus d’un siècle, vous m’avez respectée : prise par vos soldats et conduite à votre tente, je vous ai déclaré qu’à la moindre violence je me tuerais… vous m’avez crue, depuis vous m’avez toujours dignement traitée en femme libre et non pas en esclave…

La miséricorde est le partage des croyants, — dit notre Koran ; je n’ai fait qu’obéir à la voix du prophète ; mais toi, Rosen-Aër, peu de temps après avoir été amenée ici captive, lorsque Ibrahim, mon dernier né, a failli mourir, ne m’as-tu pas demandé à lui donner les soins d’une mère ? ne l’as-tu pas veillé durant de longues nuits comme s’il eût été ton propre fils ? Aussi, par récompense, et pour accomplir ces paroles du Koran : — Délivrez vos frères de l’esclavage, — je t’ai offert la liberté.

— Qu’en aurais-je fait ? où serais-je allée ?… J’ai vu tuer sous mes yeux mon frère, mon mari, dans leur résistance désespérée contre vos soldats, lors de l’attaque de la vallée de Charolles, et déjà, en ce triste temps, je pleurais mon fils Amaël, disparu depuis six années, je le pleurais, hélas ! comme je le pleure encore chaque jour.

Rosen-Aër, en disant ces mots, ne put retenir ses larmes ; elles inondèrent son visage. Abd-el-Kader la regarda tristement et reprit :

— Ta douleur de mère m’a souvent touché ; je ne peux malheureusement ni te consoler ni te donner quelque espoir. Comment retrouver ton enfant disparu si jeune, car il avait, m’as-tu dit, quinze ans à peine ?

— Oui, et maintenant il en aurait vingt-cinq ; mais, — ajouta Rosen-Aër en essayant ses larmes, — ne parlons plus de mon fils ; il est à jamais perdu pour moi… Pourquoi m’avez-vous dit que nous nous voyions peut-être aujourd’hui pour la dernière fois ?

Karl-Martel, le chef des Franks, s’avance à marches forcées à la tête d’une armée formidable pour nous chasser des Gaules. Hier,