Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/122

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Ma marâtre Plectrude m’avait fait jeter en prison après la mort de mon père, Pepin d’Héristal… Oui, selon cette bonne dame, je n’étais qu’un bâtard, bon pour le gibet ou pour le froc, tandis que mon père laissait à mon frère Théobald la charge de maire du palais, héréditaire dans notre famille… De sorte que mon frère, âgé de onze ans, devint maire du palais de ce Dagobert III, roi de dix ans (E), qui fut plus tard l’aïeul de ce petit Chilpérik, prisonnier en ce monastère… Ce roi et ce maire du palais enfantins ne pouvaient guère, tu le vois, usurper l’un sur l’autre que des toupies ou des osselets. Aussi la bonne dame Plectrude comptait régner à la place de ces deux marmots, pendant qu’ils joueraient aux billes… Tant d’audace et de sottise ont soulevé les seigneurs franks. Plectrude, au bout de quelques années, a été chassée, son fils aussi. Tandis que moi, Karl, le maudit, le bâtard, je sortais de prison, et devenais, à mon tour, maire du palais de Dagobert III ; depuis lors j’ai tant fait de bruit dans le monde en martelant de ci, de là, Saxons, Frisons et Sarrazins, que le nom de Marteau m’en est resté… Dagobert III laissa un fils, Thierry IV, mort il y a dix huit mois, lequel Thierry était père de ce petit Chilpérik, prisonnier ici. J’ai voulu, en passant dans cette contrée, visiter ce marmot afin de savoir comment il supportait sa captivité. Maintenant, écoute… Je t’ai parlé d’une marque de confiance que je voulais te donner, la voici : Je te confie la garde de cet enfant, le dernier rejeton de Clovis…

— À ma garde ! à moi ! ce dernier rejeton de Clovis ! — s’écria Berthoald, d’abord avec stupeur ; puis, tressaillant d’une joie farouche : — À ma garde ! celui-là qui eut pour ancêtres Clotaire, le tueur d’enfants ! Chilpérik, le Néron des Gaules ! Frédégonde, la Messaline ! Clotaire II, justicier de Brunehaut, et tant d’autres monstres couronnés ! À ma garde, à moi, leur dernier rejeton !

— Que signifient ces mots ?… l’égarement où je te vois ?… Es-tu fou !…

— La destinée des hommes est parfois étrange… Moi, gardien du