Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/126

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hommes de guerre… capables de garder le prisonnier, et, au besoin, de défendre cette abbaye, si les gens du parti royal tentaient d’enlever le petit prince ; — Karl ajouta, s’adressant au jeune chef : — Toi et tes hommes, vous prendrez possession de cette abbaye, je te la donne !

L’abbé leva les mains au ciel, en signe de muette désolation, tandis que Berthoald, jusqu’alors pensif, dit au chef des Franks :

— Karl… après mûre réflexion, cet emploi de geôlier me répugne, et, quoiqu’il puisse y avoir pour moi une sorte de plaisir vengeur à être le gardien du dernier rejeton de Clovis… je refuse.

— Ton refus m’afflige. N’as-tu pas entendu ce moine ? ne vois-tu pas qu’il faut ici un gardien vigilant ? ne t’ai-je pas dit que cette abbaye devait devenir, par sa position, un poste militaire important ?

— Karl, d’autres guerriers de ton armée mieux que moi garderont cet enfant, et aussi bien que moi défendront ce poste. Je te le répète, le métier de geôlier me répugne.

Le chef des Franks resta quelques moments muet, soucieux, puis il reprit : — Moine, combien as-tu de terres, de colons et d’esclaves ici ?

— Seigneur, nous possédons cinq mille huit cents arpents de terre, sept cents colons et dix-neuf cents esclaves…

— Berthoald… tu entends, voilà ce que tu refuses pour toi et pour tes hommes, et, en outre, je t’aurais fait comte en ce pays ?

— Je ne saurais être geôlier. Réserve pour d’autres que pour moi la faveur que tu voulais m’accorder ; je t’en saurai autant de gré.

— Seigneur, — reprit le père Clément avec une sainte résignation qui cachait mal son courroux contre Karl, — vous êtes chef des Franks et tout-puissant. Si vous établissez vos hommes de guerre en ce lieu et leur donnez nos terres, il nous faudra obéir, mais que deviendrons-nous ?

— Et que deviendront mes compagnons d’armes, qui m’ont si