Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble mal choisi. Ne savez-vous pas, comme moi, que l’abbesse…

— Est endiablée, père Bonaïk.

— Encore ! Mais vous voulez donc qu’il ne vous reste pas un morceau de peau sur le dos !

— Et de quoi jaser, père Bonaïk, sinon de ses maîtres ?

— Tenez, — dit le vieillard, voulant détourner l’entretien qu’il trouvait, avec raison, dangereux pour ces jeunes gens, — je vous ai souvent promis de vous parler de mon illustre maître en orfévrerie, la gloire des artisans de la Gaule, une bonne gloire, celle-là… car elle n’a coûté de sang ni de larmes à personne…

— Il s’agit du bon Éloi, père Bonaïk, l’ami du bon roi Dagobert ?

— Dites le bon Éloi, mes enfants, car jamais homme n’a été meilleur ; mais ne dites pas le bon roi Dagobert, car ce roi faisait égorger ceux qui lui déplaisaient, et avait un sérail comme en ont maintenant les kalifes des Arabes. Donc, mes enfants, le bon Éloi était né, vers 588, à Catalacte, petite ville des environs de Limoges. Ses parents étaient libres, mais d’une condition obscure et pauvre.

— Père Bonaïk, si Éloi est né en 588, sa naissance date donc d’environ cent cinquante ans ?

— Oui, mes enfants, puisque nous sommes bientôt en 738.

— Et vous l’avez connu ? — dit un des jeunes gens avec un sourire d’incrédulité, — vous l’avez connu, le bon Éloi ?

— Certes, je l’ai connu, puisque j’ai bientôt quatre-vingt-seize ans et qu’il est mort le siècle dernier, en 659, il y a près de quatre-vingts ans de cela.

— Vous étiez tout jeune alors ?

— J’avais seize ans et demi la dernière fois que je l’ai vu, et mes souvenirs me sont encore présents… Mais, pour revenir au bon Éloi, son père s’appelait Eucher et sa mère Terragie. Eucher, remarquant que son fils, tout enfant, machinait toujours de petites figures ou de petits ustensiles en bois d’un joli dessin, l’envoya comme apprenti chez un habile orfévre de Limoges, nommé maître Abbon, qui, à