Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/152

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traîner le chariot pesamment chargé de toiles, de peaux et de laines que l’on voulait me donner à conduire ?

— Ainsi, tu n’as plus qu’un cheval ? Comment cultiveras-tu tes terres ? comment t’acquitteras-tu des redevances que tu dois et de celles de l’an prochain ?

— Hélas ! seigneur, je suis dans un embarras cruel ; j’ai amené ma femme et mes enfants que voici ; ils se joignent à moi pour vous implorer et vous demander la remise de ce que je dois ; peut-être à l’avenir n’éprouverai-je pas tant de désastres coup sur coup.

Et à un signe du malheureux Gaulois, sa femme et ses enfants se jetèrent aux pieds du Frank en l’implorant avec larmes. Alors il dit au colon : — Tu as sagement fait d’amener ici ta femme et tes enfants, tu m’épargnes la peine de les envoyer chercher. Je connais certain juif de Nantes, nommé Mardochée ; il prête sur les personnes (C) ; ta femme et tes deux enfants, déjà en âge de travailler, peuvent valoir, à eux trois, dix-huit à vingt sous d’or, le juif en payera au moins dix comptant, sur lesquels je prélèverai le prix du charroi que tu aurais dû faire et le prix d’un bon cheval de trait que je t’achèterai pour remplacer celui que tu as perdu… Lorsque tu rembourseras le juif de ses avances, il te rendra ta femme et tes enfants (D).

Le colon et sa famille avaient écouté l’intendant avec une sorte de stupeur douloureuse ; mais bientôt ils éclatèrent en sanglots et en prières. — Seigneur, — disait le Gaulois, — vendez-moi, si vous le voulez, comme esclave, ma condition ne sera pas pire que celle où je vis ; mais ne me séparez pas de ma femme et de mes enfants… Jamais je ne pourrai payer mes redevances arriérées et rembourser le juif ; je préfère l’esclavage avec les miens à ma misérable vie de colon !

— Assez ! assez !… — dit Ricarik, — je tiens à toi ; tu es un bon cultivateur, mais tu as à nourrir une famille trop nombreuse, cela te ruine.. Lorsque tu n’auras à subvenir qu’à tes seuls besoins, tu pourras payer tes redevances, et le prêt de Mardochée te mettra à