Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/160

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ils doivent être poissonneux… nous pêcherons ; j’aime fort la pêche. Vive le bon Karl !

— Ne trouvez-vous pas, compagnons, que cette abbaye a une certaine mine guerrière avec ses bâtiments élevés, les contreforts de ses murailles, ses rares fenêtres, et ces étangs qui l’entourent comme une défense naturelle ?

— Tant mieux, Berthoald ! nous serons là retranchés comme dans une forteresse ; et s’il plaisait aux successeurs du bon Karl, ou à ces fantômes de rois, descendance énervée de Clovis, de vouloir nous déposséder à notre tour, ainsi que nous allons déposséder cette abbesse, nous prouverions que nous portons des chausses et non des jupes.

— Oui, oui… nos cierges sont des lances, nos bénédictions des coups d’épée…

— Hâtons nos chevaux de l’éperon, car le jour baisse et j’ai grand faim… Foi de Richulf, deux jambons et une montagne de choux ne me rassasieront pas.

— Aiguise tes dents, gros glouton ! moi je propose d’inviter au festin l’abbesse et ses nonnes.

— Moi, je propose d’inviter celles qui seront jeunes et jolies à partager avec nous le séjour de l’abbaye.

— Quoi ! les inviter ! Sigewald… il faut, par ma barbe ! les forcer à rester avec nous tant qu’elles nous plairont… Le bon Karl rira du tour. Si l’évêque de Nantes se plaint, nous lui dirons de venir chercher ses brebis, et nous le recevrons à la pointe de nos piques.

— Au diable l’évêque de Nantes ! le temps des tonsurés est passé, celui des soldats est venu… nous serons maîtres chez nous !

Pendant que ses compagnons se livraient à cette joie grossière, Berthoald, silencieux et pensif, les précédait. Karl l’avait revêtu de la haute dignité de comte ; il traînait à sa suite, dans les chariots, un riche butin. La donation de l’abbaye lui assurait de grands biens, cependant le jeune chef paraissait soucieux ; un sourire amer et douloureux effleurait parfois ses lèvres. Le soleil venait de dispa-