Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/217

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plaisir de fourbir ses armes, et, durant la route, de monter ses chevaux de bataille. Enfin, je voyais un pays nouveau. Hélas ! bien nouveau, car les terres ravagées, les maisons en ruines, l’effroyable misère des populations asservies que nous traversions, contrastaient cruellement avec l’indépendante et heureuse vie des habitants de notre paisible vallée. Alors, vous me croirez, ma mère, puisque je dis le bien comme le mal, alors, me rappelant notre heureux pays, songeant à vous, à mon père, mes larmes coulaient, mon cœur se brisait ; quelquefois j’étais tenté de fuir, de revenir à vous ; mais la crainte de recevoir l’accueil que méritait ma faute me retenait.

— C’est si naturel ! — dit Septimine qui écoutait ce récit avec un tendre intérêt. — J’aurais éprouvé la même crainte, si j’avais commis la même faute.

— Enfin, — reprit Amael, — après être resté plus d’une année chez ce chef frank, j’étais devenu bon écuyer, je domptais les chevaux les plus fougueux : passé maître dans l’art de fourbir les armes, à force de les fourbir j’avais appris à les manier. Le Frank mourut. Pris par lui, je devais être vendu. Un juif, nommé Mardochée, qui, comme tant d’autres, courait la Gaule pour trafiquer de chair humaine, se trouvait alors à Amiens ; il vint visiter les esclaves. Il m’acheta, me disant qu’il me revendrait à un riche seigneur frank, nommé Bodégesil, duk au pays de Poitiers. Il possédait, ajouta le juif, les plus beaux chevaux, les plus belles armures que l’on pût voir… — « En prenant la fuite, tu peux me faire perdre une grosse somme d’argent, — me dit Mardochée, — car je t’ai acheté d’autant plus cher que je savais te revendre un bon prix au seigneur Bodégesil ; mais, si tu fuis, tu perdras peut-être une occasion de fortune pour toi ; Bodégesil est un généreux seigneur, sers-le fidèlement, il t’affranchira, t’emmènera en guerre avec lui, lorsqu’il sera requis de marcher avec ses hommes, et l’on a vu, dans ces temps de guerre où nous vivons, des affranchis devenir comtes. » — L’ambition m’entra au cœur, l’orgueil m’enivra, je crus aux