Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/236

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Vers le commencement du mois de novembre de l’année 811, une assez nombreuse chevauchée se dirigeait vers la ville d’Aix-la-Chapelle, alors capitale de l’empire de Karl le Grand, empire si rapidement augmenté par d’incessantes conquêtes sur la Germanie, la Saxe, la Bavière, la Bohême, la Hongrie, l’Italie, l’Espagne, que la Gaule, ainsi qu’aux temps des empereurs de Rome, n’était plus qu’une province de ses immenses États. Huit ou dix soldats de cavalerie devançaient la chevauchée, qui se dirigeait vers Aix-la-Chapelle ; à quelque distance de cette escorte venaient quatre cavaliers ; deux d’entre eux portaient de brillantes armures à la mode germanique. L’un avait pour compagnon de route un grand vieillard d’une physionomie martiale et ouverte ; sa longue barbe, d’un blanc de neige comme sa chevelure, à demi cachée par un bonnet de fourrure, tombait sur sa poitrine. Il portait une saie gauloise en étoffe de laine grise, serrée à la taille par un ceinturon auquel pendait une longue épée à poignée de fer ; ses larges braies de grosse toile blanche, tombant un peu au-dessous du genou, laissaient apercevoir des jambards de cuir fauve étroitement lacés le long de la jambe, et rejoignant des bottines au talon desquelles s’attachaient des éperons. Ce vieillard était Amael ; il atteignait alors sa centième année ; malgré son âge et sa taille un peu voûtée, il semblait encore plein de vigueur ; il maniait avec dextérité un fougueux cheval noir, aussi ardent que s’il n’eut pas déjà parcouru beaucoup de chemin. De temps à autre, Amael se retournait sur sa selle afin de jeter un regard de sollicitude paternelle sur son petit-fils Vortigern, jouvenceau de dix-huit ans à peine, que l’autre guerrier frank accompagnait. La figure de Vortigern, d’une beauté rare chez un homme, s’encadrait de longs cheveux châtains, naturellement bouclés, qui, s’échappant de son chaperon de drap écarlate, tombaient jusqu’au bas de son cou, gracieux comme celui d’une femme ; ses grands yeux bleus, frangés de cils noirs, comme ses sourcils, hardiment arqués, avaient un regard à la fois ingénu et fier ; ses lèvres vermeilles, ombragées d’un duvet