Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/253

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l’une des galeries du palais était tout entière consacrée aux batailles de Karl-Martel. On le voyait triompher des Saxons et des Arabes, enchaînés à ses pieds, implorant sa clémence (E). La ressemblance était d’ailleurs si frappante, qu’Amael, en traversant cette salle, s’arrêta et s’écria : — C’est lui ! ce sont ses traits, sa tournure ! il revit ! c’est lui ! c’est Karl !

— Ne croirait-on pas que vous l’avez connu ? — dit en souriant le jeune Romain au centenaire. — Renouvelez-vous donc connaissance avec Karl-Martel ?

— Octave, — reprit mélancoliquement le vieillard, — j’ai cent ans… je combattais à la bataille de Poitiers contre les Arabes.

— Dans les troupes de Karl-Martel ?

— Oui, et je lui ai sauvé la vie, — répondit Amael en contemplant la gigantesque peinture. Et, se parlant à lui-même, il ajouta en soupirant : — Ah ! que de souvenirs doux et tristes ce temps me rappelle !

Octave regardait le vieillard avec une surprise croissante ; puis, semblant soudain réfléchir, il devint pensif et hâta le pas suivi des deux otages. Vortigern, ébloui, examinait avec la curiosité de son âge les richesses de toute sorte amoncelées dans ce palais ; il ne put s’empêcher de s’arrêter devant deux objets qui attirèrent surtout son attention : le premier était un grand meuble en bois précieux, enrichi de moulures dorées ; des tuyaux de cuivre, d’airain et d’étain de différentes grosseurs, placés les uns auprès des autres, s’étageaient sur l’une des faces de ce meuble. — Octave, — demanda le jeune Breton, — qu’est-ce que ce meuble ?

— C’est un Orgue grec envoyé à Karl par l’empereur de Constantinople. Cet instrument est vraiment merveilleux ; à l’aide de caves d’airain et de soufflets de peau de taureau que tu ne peux apercevoir, l’air arrive dans ces tuyaux, et lorsqu’ils sont en jeu, tantôt l’on croit entendre les grondements du tonnerre, tantôt les sons légers de la lyre et de la cymbale (I). Mais, tiens, là, près de cette grande table