Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/255

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Les deux otages, suivant leur guide, quittèrent ces somptueuses et immenses galeries pour monter, sur les pas d’Octave, un escalier tournant, qui conduisait à l’appartement particulier de l’empereur, appartement autour duquel régnait le balcon qui servait à Karl d’observatoire. Deux chambellans, richement vêtus, se tenaient dans une première pièce. — Attendez-moi en ce lieu, — dit Octave aux Bretons ; — je vais prévenir l’empereur de votre venue, et savoir s’il lui plaît de vous recevoir en ce moment.

Vortigern, malgré sa haine de race et de famille contre les rois ou empereurs franks, conquérants et oppresseurs de la Gaule, éprouvait une sorte d’émotion à la pensée de se trouver en face de ce puissant Karl, souverain de presque toute l’Europe, puis, à cette émotion s’en joignait une autre : ce puissant empereur était le père de Thétralde, cette charmante enfant qui, la veille, avait jeté son bouquet au jouvenceau ; car jamais sa pensée ne s’arrêtait sur la brune Hildrude. Au bout de quelques instants, Octave reparut, il fit signe à Amael et à son petit-fils d’entrer en leur disant à demi-voix : — Ployez très-bas le genou devant l’empereur, c’est l’usage.

Le centenaire regarda Vortigern et lui fit de la tête un signe négatif ; l’adolescent le comprit, et tous deux pénétrèrent dans la chambre à coucher de Karl, alors en compagnie de son favori Eginhard, l’archichapelain, qu’Imma avait autrefois bravement porté sur son dos. Un serviteur de la chambre impériale attendait les ordres de son maître. Lorsque les deux otages entrèrent chez lui, ce monarque, d’une taille colossale (elle avait sept fois la longueur de son pied), était assis sur le bord de sa couche, seulement vêtu d’une chemise et d’un caleçon de toile, qui dessinait la proéminence de son énorme ventre ; il venait de chausser une de ses chaussettes et tenait encore l’autre à la main (L). Il avait les cheveux presque blancs, la tête ronde, les yeux grands et vifs, le nez long, le cou large et court, comme celui d’un taureau (M) ; sa physionomie, ouverte et empreinte d’une certaine bonhomie, rappelait les traits de son