Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/268

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— Relève-toi, je te nomme évêque de Limbourg (X), et suis-moi ; il est bon que tu saches avec quelle âpreté l’on se dispute ici les évêchés ! On peut juger des richesses qu’il rapportent par l’ardeur avec laquelle on se les dispute. Et cependant, une fois que l’on tient l’évêché, la cupidité, loin de s’assouvir, s’irrite encore. Te souviens-tu, Eginhard, de cet insolent évêque de Manheim ? Lors d’une de mes campagnes contre les Huns, je l’avais laissé près de ma femme Hildegarde ; ne voilà-t-il pas que ce compère, se gonflant de la familiarité que lui témoignait ma femme, poussa l’audace jusqu’à lui demander en don la baguette d’or dont je me sers comme symbole de mon autorité, à cette fin, disait l’évêque, de s’en servir comme de canne (Y) ! Par le roi des cieux ! le sceptre de Karl, empereur, ne servira pas de sitôt de bâton aux évêques de son empire !

— Tu te trompes, Karl ! C’est moi qui te le dis, — reprit Amael ; — tôt ou tard tes évêques se serviront de ton sceptre comme d’un bâton pour conduire tes peuples à leur guise.

— Par le marteau de mon aïeul ! je briserais les mitres des évêques sur leur tête s’ils voulaient usurper mon pouvoir !

— Non, car tu les crains ! J’en prends à témoin les grands biens et les flatteries que tu leur prodigues.

— Je crains les évêques, moi ? — s’écria l’empereur ; et s’adressant à Eginhard : — L’affaire du rat est-elle arrangée avec le juif ?

— Oui, seigneur, — répondit en souriant Eginhard ; — hier l’évêque a conclu le marché.

— Ceci arrive à point pour te prouver si je crains les évêques, seigneur Breton… Les flatter ! moi ! lorsqu’au contraire je ne manque jamais l’occasion de leur donner de sévères ou plaisantes leçons lorsqu’ils méritent le blâme. Quant aux méritants, je les enrichis, et encore je regarde toujours à deux fois avant de leur donner des terres et des abbayes dépendant du domaine impérial ; car, avec telle