Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/27

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— Tant mieux !

— C’est vrai, — reprit l’autre monstre avec un éclat de rire épouvantable, — c’est vrai, tant mieux !

Pendant cet horrible entretien, l’auguste masque de bronze, toujours immobile dans son médaillier sur la console d’ivoire, ne sourcilla pas… Sa bouche d’airain ne fit pas entendre un cri de malédiction, retentissant comme les clairons du dernier jugement. Non ; ces monstruosités se dirent impunément… Où était-il donc le Dieu des catholiques, qui se manifestait par de si grands miracles en faveur de Clotaire, le tueur d’enfants ?

L’entretien des deux matrones continua :

— Donner une concubine à votre arrière-petit-fils Sigebert, — avait dit Chrotechilde à la reine ; — mais il n’a pas onze ans !

— Tant mieux ! — reprit Brunehaut ; — seulement, vois-tu, Chrotechilde, l’exemple de cette infâme Bilichilde me donne à réfléchir, et je ne sais laquelle préférer de ces deux esclaves… Qu’en pense ton expérience ?

— Madame, la chose est délicate… La grande brune qui pleure toujours ne sera jamais dangereuse ; c’est doux, candide et bête comme une brebis… Il n’y a point à craindre que cette innocente donne jamais à Sigebert de méchantes pensées contre vous.

— Aussi je penche fort pour cette pleureuse ; l’autre me paraît une petite commère par trop effrontée… As-tu remarqué cette impudente ? elle n’a pas baissé les yeux devant moi, dont le regard fait baisser les plus fermes, les plus audacieux regards !

— Il se peut, madame, que cette frétillante petite diablesse ait trop de ce que la grande pleureuse n’a point assez… ou point du tout ; mais ce sera peut-être un mal pour un bien. Examinons en experts le vrai des choses. Sigebert n’a pas onze ans, il est très-enfant, ne songe qu’à la toupie ou aux osselets, il est de plus doux et timide, c’est un véritable agneau ; or, cette grande innocente étant de son côté une manière de sotte brebis… vous m’entendez, madame ?