desseins gigantesques ? de quel prix est la vie de ces obscures victimes ? Leurs os seront poussière, leur nom oublié depuis des siècles, tandis que d’âge en âge mon nom continuera d’étonner le monde ! Mes victimes ! eh ! s’il en est quelques-unes dont la mémoire survive, c’est qu’elles auront été frappées par Brunehaut ! on les plaint… je les immortalise…
— Voilà, madame, une raison que sauraient faire pieusement, pour votre salut, ces prêtres cupides et rusés qui vous assiègent de demandes de terres et d’argent !
— Ne médis pas des prêtres, ils traînent mon char triomphal…
— L’attelage, madame, est ruineux.
— Pour qui ? les dons que je leur fais afin qu’ils enseignent aux peuples à vénérer Brunehaut ; ces dons m’appauvrissent-ils ? n’est-ce pas le superflu de mon superflu ? ne vais-je pas rétablir les impôts autrefois décrétés par les empereurs, et remplir ainsi incessamment mes coffres ? Les peuples crieront ! ils m’appelleront la Romaine ! Peu m’importe, si mon fisc atteint à la fois les plus pauvres et les plus riches ! et puis que veux-tu, Chrotechilde ? Il est du devoir d’une grande reine de payer royalement ceux qui l’amusent… quand ils l’amusent.
— Que trouvez-vous donc, madame, de divertissant chez ces mendiants hypocrites ?
— Tiens… prends cette clef, ouvre ce coffret qui est sur la table, et cherches-y un parchemin noué d’un ruban pourpre.
— Le voici.
— Baise-le.
— Allons, madame, vous voulez rire.
— Baise ce parchemin, te dis-je, femme de peu de foi ; il est écrit de la main d’un pape… d’un pape vivant, du pieux Grégoire, en un mot.
— Je comprends, mais je ne baiserai point le parchemin, madame, s’il vous plaît… Ainsi le pieux Grégoire, détenteur des clefs