Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/318

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j’ai à m’entretenir un moment avec ce bon vieillard. — Karl sortit de la hutte avec Amael, et lui dit en s’arrêtant à quelques pas : — Ton petit-fils est un loyal garçon, vous êtes une famille de braves hommes ; tu as sauvé la vie de mon aïeul, ton petit-fils a respecté l’honneur de ma fille ; car je sais ce qu’il y a de fatal, à l’âge de ces enfants, dans l’entraînement d’un premier amour ; cet entraînement, Vortigern l’eût payé de sa vie… mais j’aime mieux louer que punir.

— Karl, lorsqu’il y a quelques heures je te disais mes inquiétudes à propos de l’absence de Vortigern, tu m’as répondu : — « Bon ! il aura rencontré quelque jolie fille de bûcheron… l’amour est de son âge. Tu ne veux pas faire un moine de ce garçon ? » — Et pourtant, s’il eût traité ta fille comme la fille d’un bûcheron… qu’aurais-tu fait ?

— Par le roi des cieux ! Vortigern ne serait pas sorti vivant de cette hutte !

— Donc il est permis de déshonorer la fille d’un esclave ? et le déshonneur de la fille d’un empereur est puni de mort ? Toutes deux pourtant sont des créatures de Dieu, égales à ses yeux.

— Vieillard, ces paroles sont insensées !

— Et tu te dis chrétien ! et tu nous traites de païens ! Mon petit-fils s’est conduit en honnête homme, rien de plus. L’honneur nous est cher, à nous autres Gaulois de cette vieille Armorique qui a pour devise : Jamais Breton ne fit trahison. Un dernier mot : Veux-tu m’accorder une grâce ? je t’en saurai gré.

— Parle.

— Tantôt, je t’ai vu frappé de la beauté d’une pauvre fille esclave ; tu songes à faire d’elle une de tes concubines d’un moment ; sois généreux pour cette malheureuse créature, ne la corromps pas ; rends-lui la liberté, à elle et à sa famille ; donne à ces gens le moyen de vivre laborieusement, mais honnêtement.

— Il en sera ainsi, foi de Karl, je te le promets. Tu n’as rien de plus à me demander ?