Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/177

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sa sœur. — Éloigne-toi ! — ai-je dit à la femme de mon fils ; — éloigne-toi ! Gervaise eût donné sa vie pour ses enfants ; elle comprit que Julyan venait d’expirer. Son chagrin fut cruel ; mais lorsque je l’engageai à s’éloigner, elle m’obéit, ne pensant, comme mon fils, qu’à satisfaire à sa faim. Lorsqu’elle fut, non pas assouvie, mais momentanément apaisée, tous deux éclatèrent en sanglots. — Ne pleurez pas le sort de Julyan, — leur ai-je dit ; — il ne souffrira plus. Ah ! Gaulois dégénérés ! nous avons perdu ce fier dédain de la mort que nos pères puisaient dans leur foi druidique ! Ils savaient échapper eux et leurs enfants à la honte de l’esclavage ou à la douleur, en se délivrant d’une vie odieuse pour aller renaître en des mondes meilleurs ! ne plaignons pas ceux qui meurent... envions leur sort !

— Pauvre petit Julyan ! — disait Gervaise en gémissant ; — ah ! mon cher enfant ! quelques instants de plus, tu mangeais comme les autres, et tu étais sauvé... pour aujourd’hui du moins !

— Mon père, — me dit Den-Braô, — cette viande grillée, j’y songe maintenant... où vous l’êtes-vous procurée ?

— Pour la première fois depuis longtemps j’avais trouvé la trace d’un daim, — ai-je répondu, en baissant les yeux devant le regard de mon fils ; — j’ai longtemps, mais en vain, suivi cette bête fauve à la piste, je suis ainsi arrivé près de la taverne de Grégoire ; il soupait... il m’a donné ce que vous avez mangé.

— Un tel don ! en ces temps de famine, mon père ? en ces temps où les seigneurs et les prélats seuls ne souffrent pas de la faim ? Un tel don est à peine croyable.

— J’ai appitoyé le tavernier sur notre détresse, — ai-je brusquement répondu à mon fils, afin de mettre fin à cet entretien, qui me navrait. — Mais je suis brisé de fatigue ; j’ai besoin de me reposer. — J’allai dans la pièce voisine m’étendre sur ma couche, mon fils et sa femme restèrent agenouillés près du corps du petit Julyan ; les deux autres enfants s’endormirent, disant qu’ils avaient encore faim. Je me suis réveillé après un long sommeil agité de rêves sinistres ; la fin