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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/20

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— Moi, ma mère ? — répondit ingénûment la jeune fille, sans trahir le moindre embarras, et attachant son candide regard sur celui de sa mère, — si je vous parle souvent de Rustique, c’est donc sans y songer.

— Je le crois, mon enfant ; mais comment veux-tu qu’aucun remède humain opère ma complète guérison, lorsqu’elle résiste aux reliques ? C’est comme si tu me disais qu’un pouvoir humain pourrait me faire retrouver ma chère petite fille, qui, hélas ! a disparu d’ici, dix ans avant la naissance de ton frère !

— Pauvre sœur ! je la regrette sans l’avoir jamais connue.

— Elle aurait pu me remplacer auprès de toi, car aujourd’hui elle serait d’âge à être ta mère.

Un assez grand bruit mêlé de cris venant de la rue, interrompit l’entretien de Marthe et de sa fille. — Ah ! ma mère, — dit Anne en tressaillant, — c’est peut-être encore un pauvre pénitent que la foule accable d’injures et de coups ! Hier, ce malheureux que l’on poursuivait ainsi est resté sanglant et demi-mort dans la rue.

— Bon ! — répondit Marthe en hochant la tête, — c’était justice ; moi, j’aime fort à voir la foule ainsi maltraiter les pénitents ; s’ils sont pénitents, c’est à cause de leur impiété, je ne saurais plaindre les impies.

— Pourtant, ma mère, la pénitence que leur impose l’église en expiation de leurs péchés, est déjà cruelle ! Marcher pieds nus, les fers aux jambes, pendant dix ou douze ans et souvent davantage, se vêtir d’un sac, se couvrir la tête de cendres et mendier leur pain, puisque la religion leur défend de travailler (C).

— Mon enfant, ces pénitents, que dans sa piété la foule se plaît à accabler de coups, devraient bénir chacune de leurs meurtrissures, elles comptent pour leur salut ; mais le bruit et le tumulte redoublent, ouvre donc la fenêtre, que nous voyions ce qui se passe dans la rue.

Anne et sa mère se levèrent et coururent à l’étroite fenêtre, où