Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/214

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respectaient pas même la pudeur dans la mort), ce corps était celui de Perrine-la-Chèvre, torturée, suppliciée à l’aube du jour, selon les menaces de Garin-Mange-Vilain. Les épais cheveux noirs de la victime tombaient sur son visage contracté par l’agonie et sillonné de longues traces de sang desséché, épandu, la veille, de ses yeux crevés ; ses dents serraient encore une figurine de cire longue de deux ou trois pouces, vêtue d’une robe d’évêque et coiffée d’une mître en miniature façonnée avec un petit morceau d’étoffe d’or. Les sorcières, pour accomplir leurs charmes diaboliques, faisaient souvent placer de ces figurines entre les dents des pendus au moment où ils rendaient l’âme ; les sorcières appelaient ces magies : des envoûtements (P). À côté de ce gibet s’élevait le poteau seigneurial de Neroweg VI, seigneur et comte du pays de Plouernel ; ce poteau, indiquant les limites de la seigneurie traversée par la route de l’ouest, était surmonté d’un écusson rouge, au milieu duquel se voyaient trois serres d’aigle peintes en jaune d’or. Un autre poteau, portant pour emblème un serpent-dragon de couleur verte peint sur fond blanc, indiquait la route de l’est, qui coupait les domaines de Draco (Dragon), seigneur de Castel-Redon, et accostait aussi un gibet à quatre fourches patibulaires ; deux d’entre elles seulement étaient garnies : à l’une pendait le cadavre d’un enfant de quatorze ans au plus ; à l’autre le corps d’un vieillard, tous deux à demi déchiquetés par les corbeaux. Isoline, fille de Bezenecq-le-Riche, poussa un cri d’effroi à la vue de ce spectacle lugubre, et se serrant contre le marchand, derrière qui elle se tenait en croupe, murmura tout bas : — Mon père ! oh ! mon père !... vois donc ces pendus... et à l’autre gibet, là-bas, il y a une pauvre femme !

— Ne regarde pas de ce côté, mon enfant, — répondit tristement le bourgeois de Nantes, en se tournant vers sa fille afin de cacher à ses yeux ce funèbre tableau. — Plus d’une fois, durant notre route, nous ferons de ces sinistres rencontres ; hélas ! aux limites de chaque seigneurie on trouve des fourches patibulaires !