Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/286

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vaient pas survécu à la torture. Le cadavre de Bezenecq-le-Riche était enchaîné sur le gril, au-dessus des débris du foyer alors éteint. Les souffrances de ce malheureux avaient été si atroces que ses membres, assujettis par des liens de fer, s’étaient convulsivement tordus ; au moment d’expirer sans doute, il avait, dans un suprême effort, tourné sa tête du côté de sa fille, afin de mourir les yeux fixés sur elle. La figure du marchand, noirâtre, effrayante, conservait l’expression de son épouvantable agonie ; à quelques pas du corps de son père, Isoline, accroupie sur la couche de paille, ses genoux enlacés de ses deux bras, se balançait d’avant en arrière, poussant de temps à autre avec une sorte de cadence des éclats de rire insensés. Elle était devenue folle ; Fergan, ému de pitié, songeait à délivrer la fille de Bezenecq, descendante comme lui de Joel, lorsque la porte du cachot s’ouvrit, et Gonthram, fils aîné de Neroweg VI, entra un flambeau à la main, ses joues empourprées ; l’éclat de son regard, sa démarche incertaine, annonçaient son ivresse ; en s’approchant d’Isoline, il heurta le gril où gisait le cadavre du bourgeois de Nantes ; sans s’émouvoir de ce spectacle, Gonthram s’avança vers la jeune fille, la saisit rudement par le bras et lui dit d’une voix avinée : — Viens... suis moi ! — La folle ne parut pas l’entendre, ne leva pas même les yeux sur lui et continua de se balancer en riant. — Tu es très-gaie, — dit le louveteau de Pire-qu’un-Loup ; — moi aussi, je suis gai ! Viens là-haut, nous rirons ensemble !

— Ah ! traître ! — s’écria d’une voix essoufflée un nouveau personnage en se précipitant dans le cachot, — je me doutais de ton dessein en te voyant quitter la table, au moment où mon père montait chez sa sorcière ! — Et se jetant sur son frère, car cet autre louveteau était Guy, second fils de Neroweg VI, il s’écria : — Je te l’ai dit tantôt... Si tu veux cette femme, tu la paieras de ton sang... elle m’appartient autant qu’à toi !

— Toi ! — s’écria le jeune homme abandonnant le bras d’Isoline et se tournant furieux, — toi, vil bâtard ! toi, le fils du chapelain