Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/294

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pouvoir des Sarrazins ! Oui, oui ! il est au pouvoir des infidèles, le saint sépulcre de Notre-Seigneur ! Malheur ! malheur ! malédiction ! malédiction ! — Et le moine se frappa la poitrine, déchira son froc, fit rouler ses yeux caves au fond de leur orbite, grinça des dents, écuma, fit mille contorsions sur sa mule, et reprit avec une furie croissante : — Quoi ! l’infidèle règne en maître dans Jérusalem, la ville sainte ! quoi ! le mécréant insulte par sa présence au tombeau du Christ ! et vous, chrétiens, mes frères, vous le souffririez cet horrible sacrilège ? vous le souffririez ?

— Non, non ! — cria tout d’une voix la foule des croisés qui accompagnaient Coucou-Piètre et Gauthier-sans-Avoir ; — mort aux infidèles ! délivrons le saint tombeau ! marchons à Jérusalem ! Dieu le veut ! Dieu le veut ! — Les serfs du village, ignorants, hébétés, craintifs, ouvraient les yeux, les oreilles, se regardaient les uns les autres, ne sachant point du tout ce que c’était que Jérusalem et les Sarrazins, ne comprenant rien non plus à la furie et aux contorsions du moine ; aussi le vieil serf surnommé Martin-l’Avisé (celui-là même qui deux jours auparavant s’était hasardé à exposer au baillif les doléances de ses compagnons) dit timidement à Coucou-Piètre : — Saint patron, puisque Notre Seigneur Jésus-Christ trône dans le ciel avec son père éternel, qu’est-ce que ça lui fait donc à Notre Seigneur Jésus que son tombeau soit au pouvoir de ceux que vous appelez les Sa... les... Sarrazins ?

— Ce que ça lui fait ? — s’écria Gauthier-sans-Avoir interrompant le moine, qui allait répondre, — ce que ça lui fait ? à Notre Seigneur Jésus Christ, que son tombeau soit au pouvoir des Sarrazins ? Tu le demandes ?

— Nous le demandons, — reprit un autre serf, jeune garçon qui, à l’exception du vieux Martin-l’Avisé, semblait moins hébété que les autres, — nous demandons ceci d’abord, ensuite nous ferons d’autres questions.

— Oh ! oh ! — dit le chevalier gascon, — par ma vaillante épée