Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/296

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cultiver, cette brave et honnête terre : froment doré, fruits délicieux, vins exquis, troupeaux magnifiques ! » (Ah ! mes amis, ajouta le Gascon en manière de parenthèse, quel pays, quel prodigieux pays ! il faut y aller voir pour le croire ! Figurez-vous que l’hiver y est inconnu, le printemps éternel ; les plus pauvres de ses chiens d’habitants ont des maisons de marbre blanc et des jardins enchanteurs ornés de claires fontaines ; les mendiants, vêtus d’habits de soie, jouent au petit palet avec des rubis et des diamants. ) — Un murmure de stupeur, puis d’admiration circula parmi les serfs ; l’œil fixe, la bouche béante, les mains jointes, ils écoutaient avec une avidité croissante l’aventurier gascon, qui reprit : — « Tel est donc le miraculeux pays habité par ces chiens de Sarrazins, — (a dit Notre Seigneur Jésus-Christ,) — et les chrétiens, les fils chéris de ma sainte Église catholique, habitent des tanières, mangent du pain noir, boivent de l’eau croupie, grelottent sous un ciel glacé l’hiver et pluvieux l’été ; non, de par tous les diables ! ça n’est pas juste... » Non, que mes chers fils viennent délivrer mon sépulcre, exterminer les infidèles, et alors ils auront pour récompense les terres prodigieuses de la Palestine ! à eux Jérusalem, la ville aux murailles d’argent, aux portes d’or cloutées d’escarboucles ! à eux les vins, les femmes, les richesses des Sarrazins maudits ! » Oui, mes braves compagnons, voilà ce qu’il dit, le bon Jésus ! — Et se retournant vers Pierre-l’Ermite : — Est-ce vrai, saint homme ?

— C’est la vérité ! — répondit Coucou-Piètre, — c’est la vérité... la sainte Écriture l’a prophétisé : — Le bien du pécheur est réservé à l’homme juste.

À mesure que l’adroit compère de Coucou-Piètre avait fait miroiter aux yeux éblouis des pauvres habitants du village le mirage enchanteur des délices, des richesses de la Palestine, bon nombre de ces serfs affamés, vêtus de guenilles, et qui, de leur vie, n’avaient dépassé les limites de la seigneurie de Plouernel, frémirent d’une ardente convoitise, d’une espérance fiévreuse ; d’autres, plus craintifs ou