Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/304

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baisait en pleurant et continuant de courir à côté de son mari, car elle trouvait la force de le suivre. À ce moment, le chant de départ des croisés retentit au loin avec une nouvelle puissance.

— Quels sont ces chants ? — demanda le carrier ; — quelle est cette grande foule rassemblée là-bas ?

— Ce sont des gens qui s’en vont, disent-ils, à Jérusalem. Grand nombre des gens du village les suivent ; ils sont comme fous !

— Nous sommes sauvés ! — s’écria Fergan-le-Carrier, frappé d’une idée subite ; — partons avec eux !

— Quoi ! Fergan ? — s’écria Jehanne, haletante, épuisée par cette marche précipitée ; — nous en aller au loin avec notre enfant !

Mais le serf, qui se voyait à cent pas au plus du village, ne répondit rien, et suivi de Jehanne, il atteignit enfin la foule, au milieu de laquelle il tomba, brisé de fatigue, avec Colombaïk, en disant à sa femme, qui l’avait rejoint : — Ah ! sauvés ! sauvés !

Garin-Mange-Vilain, continuant de pousser son cheval le long du fossé jusqu’au pont qu’il traversa, remarquait avec surprise cette multitude qui encombrait la place et les abords du village ; il s’en approchait, lorsqu’il vit venir à lui plusieurs des serfs qui préféraient leur écrasant servage aux chances d’un voyage lointain et inconnu. Parmi eux se trouvait le vieux Martin-l’Avisé ; pour flatter le baillif, il lui dit en tremblant : — Bon maître Garin, nous ne sommes pas de ces rebelles qui osent fuir les terres de leur seigneur pour s’en aller en Palestine avec cette troupe de croisés passant par le pays... nous ne voulons pas, nous autres, abandonner les domaines de notre cher seigneur !

— Sang et mort ! — s’écria le baillif, oubliant le carrier à l’annonce de cette désertion d’un grand nombre de serfs ; — les misérables qui ont osé penser à fuir seront suppliciés ! — La foule s’écartant devant le cheval de Garin, il arriva près du moine et de Gauthier-sans-Avoir, qu’on lui désigna comme chefs des croisés ; s’adressant alors à eux d’un air menaçant : — De quel droit entrez-vous ainsi