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(p. 25), dans l’Histoire de la prise de Jérusalem, par Baudry, archevêque de Dole, qui assistait à la croisade.

« …. Souvent les croisés mangeaient dans un siège de la chair humaine, mais cela ne leur était pas imputé à crime ; par là, ils continuaient de faire la guerre aux infidèles avec les dents et avec les mains.

» ….. Ceux qui étaient plus honnêtes éventraient les Sarrasins morts, et tiraient de leurs entrailles les pièces d’or que ceux-ci avaient avalées.

» ….. Chose horrible à entendre ! — s’écrie Albert, chanoine d’Aix, déjà cité, — les croisés mangèrent non-seulement des Sarrasins, mais encore des chiens cuits. » (P. 67.)

Manger du Sarrasin, cela se conçoit encore à la rigueur ; mais manger du chien cuit ! profanation ; du reste, ainsi que nous l’avons dit, l’anthropophagie d’abord commandée par la famine, et aussi par un pieux acharnement à guerroyer les infidèles à coups de mâchoire, devint parfois une épouvantable dépravation du goût. Un ouvrage anglais (Ellis’s specimens of Earli : English metrical romances, v. II p. 256) cite une chronique anglaise, contemporaine de la croisade où assistait le roi d’Angleterre, Richard-Cœur-de-lion, ce prince, habituellement fort glouton, était malade, cependant il s’obstinait à vouloir manger du porc, viande qu’il aimait fort. Le médecin de Richard, craignant pour son Royal malade l’indigeste lourdeur de cette nourriture porcine, dit à l’un des écuyers de son maître : « Prends un Sarrasin jeune et gras ; sans délai tue, ouvre et écorche ce bandit, fais-le bouillir avec force sel et épices, ajoutes-y du safran fortement coloré. » — Le jeune Sarrasin est tué, mis en morceaux, bouilli, assaisonné ; le roi Richard en fait chère lie, et jure Dieu, qu’il n’a jamais mangé de meilleur porc. Sa faim, loin d’être assouvie, s’exaspère ; il veut manger absolument la tête de cet excellent porc et ordonne qu’on la lui apporte. L’écuyer n’osant désobéir à son terrible maître, apporte la tête du jeune Sarrasin. La chronique anglaise poursuit : — « Lorsque le roi vit cette noire figure, à la barbe d’ébène, aux dents d’ivoire, et ces lèvres contournées par une hideuse grimace : — Que diable est ceci ! — s’écria-t-il. — Puis, riant aux éclats il ajouta : — Quoi ! la chair d’un Sarrasin est aussi bonne ? je ne m’en doutais guère ; mais je le jure par le Dieu mort et ressuscité ! nous ne mourrons jamais de faim, tant que nous pourrons, en donnant l’assaut, prendre de ces Sarrasins qu’on peut bouillir, rôtir, mettre au four, et dont la chair est bonne jusqu’à l’os ; l’épreuve est faite, moi et les miens nous en croquerons plus d’un. »

Un autre historien contemporain des Croisades, Guilbert, moine de Clermont, s’exprime ainsi dans son livre des Gestes de Dieu par les Franks, (p. 27) : « Le roi des Truands est le chef d’une bande qui se nourrit de chair humaine ; celui de ces truands qui garde seulement un denier sans le dépenser est chassé comme indigne de la troupe. »

Vous verrez, chers lecteurs, ces truands à l’œuvre dans le récit suivant, et vous assisterez à une horrible scène de cannibale ordonnée par Bohemond, prince de Torente, l’un des chefs franks de la croisade ; cette scène est certes plus épouvantable que le régal du roi Richard. Quant à la férocité des croisés, à leurs profanations sacrilèges, voici ce que nous lisons dans Foucher de Chartres, auteur du livre des Gestes des Franks allant armés en pèlerinage à Jérusalem (p. 89-91) : « Les croisés, sachant que les Sarrasins avaient des bysantins d’or, fendaient le ventre à tous les prisonniers pour chercher l’or dans leurs entrailles, ou bien on les faisait brûler pour retrouver l’or dans les cendres (89). »

À l’occasion du riche butin fait par les croisés au siège d’Ascalon, ce même Foucher rapporte qu’on y trouvait douze sortes de pierres précieuses ; et en racontant le siège de Césarée, il s’écrie : « — Ô combien d’argent nous trouvâmes dans le camp ! les plus pauvres des pèlerins devinrent riches ; on brûla des cadavres fétides pour trouver dans les cendres les besans qu’ils avaient avalés. — Quelques Sarrasins, pour dérober leur or à l’avidité des Franks, avaient caché des pièces d’or dans leur bouche, d’où il arrivait que lorsque l’on serrait le cou de ces barbares, il sortait de leur bouche huit ou dix pièces d’or. Des femmes cachaient leur or . . . . . . . . ., . . . . . . . . (p. 91). »

Parlerons-nous des mœurs infâmes et des débauches des chefs de la croisade et de leurs femmes ? la chose est difficile ; aussi, par pudeur pour nos lectrices, nous laisserons subsister en latin la plus grande partie de cette citation de Gautier, le chancelier, sur la guerre à Antioche, à laquelle il assista :

« Parmi les croisés, les uns couraient après les plaisirs de la table, les autres fréquentaient les tavernes des impudiques et dépassaient toutes les bornes de la pudeur ; car, au moyen de l’or de l’Arabie et des pierres précieuses, eleganter adornabant feminarum sexualia ; ils agissaient ainsi non pas ad dissimulare sexualia ni pour éteindre la flamme de la débauche, mais afin que : quibus ingratum erat quod licebat, qui cum hoc modo, suam vellent imitare libidinem, mulieres dealbare et eis satisfecere putarent, ut praelibarent, augebant crimina criminibus.

» Les femmes, méprisant la couche de leurs maris, allaient dans les lieux de prostitution ou appelaient les passants dans les rues et se livraient à eux pour de l’argent (p. p. 104-105) »

Enfin les croisés arrivent devant Jérusalem, en font le siège, et s’emparent de la Cité sainte. Alors… on recule épouvanté.

Lisez Foucher de Chartres, témoin oculaire de cette boucherie sans exemple dans les fastes des carnages.

« Il y eut tant de sang versé dans le temple de Salomon, à Jérusalem, que les corps nageaient çà et là sur le parvis ; on voyait flotter des bras et des mains coupés, qui allaient se joindre à des corps