Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/74

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L’obscurité la plus profonde régnait dans le réduit où Anne-la-Douce était renfermée ; à ses premières terreurs, à son désespoir d’être séparée de sa mère, avait succédé une sorte d’anéantissement ; ses larmes à force de couler avaient tari ; assise sur les dalles de sa cellule et adossée à la muraille, la jeune fille, ses bras croisés sur ses genoux, son front appuyé sur ses bras, sommeillait d’un sommeil fiévreux, agité de rêves sinistres ; tantôt le chantre Fultrade lui apparaissait, alors elle se réveillait frissonnant d’horreur, et les silencieuses ténèbres dont elle était entourée lui causaient de nouvelles épouvantes ; tantôt rêvant qu’on l’avait oubliée dans cette demeure souterraine, elle se voyait en proie aux tortures de la faim, et entendait les cris déchirants de sa mère vouée au même supplice. Soudain Anne fut arrachée à ces songes cruels par un bruit croissant de voix et de pas précipités. Elle redressa la tête, prêta l’oreille et d’un bond fut à la porte où elle frappa de toutes ses forces, en criant : — Mon père ! mon frère ! délivrez-moi ! — Anne-la-Douce venait de reconnaître les voix d’Eidiol et de Guyrion-le-Plongeur, qui criaient : — Ma fille ! ma sœur !... où es tu ?

— Ici, mon père ! — reprit la jeune fille en frappant à la porte de toutes ses forces, — je suis là !

—Éloigne-toi du seuil, mon enfant, — lui cria le nautonnier ; — nous allons enfoncer la porte, elle pourrait en tombant te blesser. — La jeune fille, ivre de joie, se recula de quelques pas ; bientôt la porte, violemment ébranlée sous les coups des leviers, s’ouvrit brusquement, et à la clarté d’une torche portée par Rustique-le-Gai, Anne aperçut son frère et son père, elle se jeta dans leurs bras en versant des larmes de bonheur, puis s’écria en regardant autour d’elle : — Et ma mère ?

— Tu vas la revoir, mon enfant ; c’est elle qui tout à l’heure m’a appris la trahison de ce moine infâme ! — répondit le doyen des nautonniers, qui ne pouvait se lasser d’embrasser sa fille avec frénésie. — À ma vue, — ajouta-t-il, — la pauvre Marthe a éprouvé un tel saisis-