Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/164

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— Ma pauvre Jehanne, — dit tristement le carrier, — je t’ai vue plus courageuse au milieu des sables de la Syrie ; rappelle-toi à quels périls toi, ton fils et moi, nous avons échappé durant notre long voyage en Palestine, et alors que nous étions serfs de la seigneurie de Neroweg VI…

— Fergan, — répondit Jehanne avec une angoisse profonde, — si terribles qu’aient été les dangers passés, l’avenir en est-il moins menaçant ?

— L’on était si heureux dans cette cité ! — murmura Martine ; — ces méchants Épiscopaux qui veulent ainsi changer notre joie en deuil ont pourtant aussi des épouses, des mères, des sœurs, des filles !

— Oui, — dit Fergan avec amertume ; — mais ces nobles hommes et leur famille, poussés à bout par l’orgueil de race, et habitués à vivre dans l’oisiveté, sont furieux de ne plus jouir des fruits de notre rude labeur ! Ah ! s’ils lassent notre patience, s’ils veulent reconquérir leurs droits odieux… malheur aux Épiscopaux ! de terribles représailles les attendent ! — Puis, embrassant Jehanne et Martine, le carrier ajouta : — Adieu, femme ; adieu, mon enfant.

— Adieu, bonne mère, adieu, Martine, — dit à son tour Colombaïk ; — j’accompagne mon père aux halles ; dès que nous saurons quelque chose de certain, je reviendrai vous avertir.

— Allons, ma fille, — dit Jehanne à Martine, après avoir donné un dernier embrassement à son mari et à son fils, qui s’éloignaient, — reprenons notre triste besogne. Hélas ! un instant j’avais espéré que nous pourrions y renoncer !

Les deux femmes recommencèrent de préparer des linges pour le pansement des blessés, tandis que les jeunes apprentis, se remettant à l’ouvrage avec une nouvelle ardeur, continuèrent d’emmancher des fers de piques.